Julie et Salaberry
réussite. Posséder une belle demeure, avec lâassurance que sa famille ne manquait de rien, lui suffisait. Autrement, il était la bonté même. Monsieur le curé pouvait toujours compter sur les largesses de son grand cÅur pour soulager les miséreux de la paroisse. Mais son mari était un homme si honnête et si aimable quâil ne voyait pas toujours quâon pouvait lâexploiter et Françoise soupçonna quâil y avait anguille sous roche.
â Quây a-t-il? demanda-t-elle, méfiante.
â Eh bien, voilà ⦠Lâautre jour, le docteur Stubinger me faisait des compliments sur notre maison.
â Le docteur Stubinger? Tu parles de ce cousin par alliance des demoiselles qui vient dâarriver à Chambly afin dâusurper les droits de notre docteur Talham à titre de médecin militaire de lâarmée? Que veut-il à notre maison, celui-là ?
â Il la trouvait solidement bâtie, admirant la solidité de la maçonnerie en pierre, remarquant quâelle était à lâabri des incendies. Le docteur nâa pu sâempêcher de noter aussi la belle dimension des pièces.
â Et⦠en quoi la dimension des pièces de notre maison peut-elle intéresser à ce point le docteur Stubinger?
Françoise soupira bruyamment. Ombrelle à la main, elle attendit la suite.
â Eh bien, ma Fanchette, le docteur Stubinger mâexpliquant lâurgence dâinstaller un hôpital à Chambly afin de soigner les soldats blessés, jâai moi-même offert, assuré bien entendu de la largesse de ton grand cÅur, de louer notre maison à lâarmée. Inutile de te dire quâil a immédiatement accepté, ajouta-t-il avec un air satisfait.
â Inutile, en effet!
Françoise darda Joseph dâun regard furieux.
â Et où logerons-nous, si notre maison est remplie de blessés gémissants?
â Nous aurons droit à deux chambres, à lâusage de la cuisine et des bâtiments. Bien sûr, je conserve mon cabinet de travail etâ¦
â Cohabiter avec ces gens? Mais je nâai rien dâune Jeanne Mance, moi! Surtout au profit de ce Stubinger. Les demoiselles font grand cas de lui parce quâil est marié à une de leur nièce mais à moi, il me déplaît avec ses petits yeux de fouine. Vois ce quâil a fait à notre docteur Talham!
Monsieur Bresse aurait pu sâétonner de voir, et par deux fois, Françoise sâapproprier ainsi le docteur Talham. Elle lâaimait surtout parce quâil autorisait Marguerite à faire de la couture et quâelle-même profitait largement de lâouverture dâesprit du docteur. Joseph songea quâil nâaurait pas aimé voir sa femme sâoccuper de cette manière.
â Crois-moi, nous reparlerons de tout cela, dit-elle en enfilant prestement ses gants. Messire Bédard ne mâattendra pas pour célébrer sa messe et tu viens de me donner une raison de plus de prier. Dâailleurs, ajouta-t-elle, le regard plein de suspicion, puis-je savoir ce qui te retient dâassister à la messe? Si lâennemi quâon nous annonce entre dans Chambly pour nous découper en morceaux, tu seras bien avancé.
â Jâaurais voulu tâaccompagner, ma jolie bichette, sâexcusa faiblement Joseph, mais jâai rendez-vous avec Boileau et Vincelet pour examiner les plans de reconstruction du ponceau etâ¦
Les yeux noirs de madame Bresse auraient pu foudroyer une armée de Bostonnais!
â Quand je pense que jâai eu droit aux hauts cris tout lâhiver, aux innombrables turpitudes de monsieur Boileau, et voilà que tu es avec lui comme cul et chemise, jaspina la bourgeoise.
â Mais Fanchette⦠fit Joseph dâun ton suppliant, même sâil nâavait aucune intention de reculer.
Il ne pouvait supporter quâelle se fâche ainsi. Il adorait sa femme et avait besoin quâelle fasse corps avec lui. Comme ils nâavaient pas dâenfants, elle était sa raison de vivre.
Sans ajouter un mot, Françoise tourna les talons et passa la porte de leur demeure.
â Sainte Vierge Marie! implora Bresse, en levant les yeux au ciel.
Boileau et son maudit pont! Que dâennuis il avait causés. Heureusement, ce pénible malentendu était presque réglé. Le curé sâen était bien
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