Julie et Salaberry
forte tête. Tu sais ce quâil en coûte de sâattaquer à un sergent?
â Câest pas un officier maigrelet qui va me faire peur, brava Boucher en se plantant devant lui avec insolence.
â Câest ce que nous allons voir, répondit le major.
Il attrapa le bras du rebelle pour le tordre jusque dans son dos. Lâhomme se contorsionna, puis sâagenouilla sous la douleur. Une clameur mêlée dâadmiration et dâeffroi parcourut miliciens et voltigeurs qui avaient accouru, alertés par les cris.
â Eh bien! chuchota Louis à Godefroi. Mieux vaut pour sa santé ne pas trop se frotter au major.
â Silence! ordonna Salaberry. Et il relâcha celui quâil maintenait toujours à genoux. Sergents, faites votre travail.
Vaincu, lâhomme se laissa emmener. Salaberry sâadressa à ceux qui observaient la scène.
â Jâexige de lâordre et de la discipline. Nous ne savons pas quand lâennemi arrivera, mais il faut sâentraîner à pouvoir le jeter hors de nos murs.
Un nouveau murmure, approbateur cette fois, se répandit parmi les hommes. Voyant quâil avait regagné leur confiance, Salaberry radoucit le ton.
â Je sais, nous manquons de tout. Mais cette situation ne durera pas. Je vous demande dâêtre patients. Je nâai nulle envie de vous voir crever de faim. Entre-temps, mes amis, le gouverneur arrivera dans quelques jours pour la revue et nous allons lâimpressionner.
â Hourra pour les Voltigeurs! cria quelquâun.
â Oui, hourra pour les Voltigeurs et notre major! reprit à son tour Godefroi. Par ma vie, notâ major, câest quelquâun, tout de même, ajouta-t-il à lâintention de Louis, une fois que Salaberry et les deux capitaines eurent disparu.
Rien ne pouvait faire faiblir son admiration pour Salaberry.
â Mouais⦠Y paraît que de nouvelles compagnies arrivent encore.
â Yâa plus de place nulle part! observa Godefroi en jetant un regard circulaire tout autour de lui, où il nây avait quâune forêt de petites tentes blanches réglementaires, semblables à celle quâil partageait avec Louis. Je me demande où on va loger tout ce monde-là !
à Montréal, rue Bonsecours, le capitaine Jacques Viger avait rassemblé son gréement guerrier: le havresac, le fusil et lâimpressionnant shako recouvert de poil dâours. Prêt à partir, il embrassait à pleine bouche lâexquise Marguerite de La Corne, devenue madame Viger, son épouse.
â Mon ami, fit celle-ci en se retirant avec difficulté des bras tendres de son mari, vous allez manquer le bac et faire attendre tous ces hommes que vous avez recrutés et que vous menez à Chambly.
â Je vous enverrai quelque pécune dès que je recevrai ma paye, dit finalement Jacques Viger qui avait largement fait appel à sa bourse pour le recrutement en avançant de lâargent à plusieurs de ses hommes qui en étaient sans ressources. Ma pauvre amie, il ne nous reste plus grand-chose après avoir payé tout ce barda. Je nâai pas un denier à vous laisser.
Il apportait également des victuailles â on nâest jamais trop prudent! â et de rares effets personnels.
â Partez tranquille. Lâargent finira bien par arriver. Je sais à quel point votre service sera dur et je suis confiante que vous aurez assez de courage et de patience pour aller jusquâau bout. Câest ainsi quâon est vraiment un homme.
Fille de militaire et veuve dâun major de lâarmée britannique, madame Viger connaissait sur le bout de ses doigts son rôle dâépouse dâofficier.
â Surtout, rappelez-vous de ce que je vous ai confié sur le caractère du major de Salaberry. Il est exigeant et prompt, mais aussi franc que brusque. Si vous lui plaisez, il ne dira que du bien de vous. Et vous avez déjà fait plusieurs pas dans cette direction, puisque câest lui qui vous a invité à joindre les Voltigeurs.
â Je me rappellerai vos conseils, ma mie. Adieu, ma toute belle!
â Ãcrivez-moi dès que vous serez arrivé à Chambly.
â Je vous régalerai de si longues épîtres quâelles occuperont toutes vos soirées. Et faites de même en adressant vos lettres chez le docteur Talham.
Viger embrassa une
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