Julie et Salaberry
autour dâeux, avec le sérieux dâun officier qui fait la revue.
â Hum! Hum! Le dos bien droit, comme il sied à un voltigeur. Câest bon, je vous engage.
Et il éclata dâun grand rire en voyant la mine sérieuse des enfants. Melchior et Eugène ne savaient plus sâils devaient rire aussi. Viger fit une révérence comique à Marguerite.
â Admirez, madame Talham, la simplicité de ma méthode dâéducation.
â Vous êtes capitaine comme le capitaine de Rouville? demanda par la suite Melchior, en le voyant sortir une longue pipe au fourneau dâargile et une tabatière.
â Câest la vérité. Tu connais donc le capitaine de Rouville?
â Ãa oui! Il est venu chez nous lâautre jour. Saviez-vous que ma tante Julie est la sÅur du capitaine de Rouville? Elle a épousé le commandant Salaberry.
Jacques Viger alluma sa pipe et en tira quelques bouffées.
â Ãa parle au diable! Tu es drôlement bien renseigné, jeune Talham. Eh bien! Voilà sans conteste une autre preuve que je fréquente une bonne maison.
â Quand le capitaine de Rouville a-t-il fait cette visite? demanda Alexandre à Marguerite, intrigué de ne pas en avoir eu des échos.
â Oh! fit-elle en cherchant vivement une excuse plausible à son silence. Câétait pour la robe de la demoiselle, je veux dire, de madame de Salaberry. Il était passé sâinformer si elle était prête, mentit-elle.
â Capitaine Viger, vous allez tuer des Bostonnais? interrompit alors le petit Eugène.
â Câest la guerre, mon garçon, expliqua son père qui sentait lâenfant inquiet. Et lorsquâil y a la guerre, les hommes ont le devoir de défendre leur pays. Pour cela, il faut tirer du mousquet et tuer des ennemis.
â Et lâennemi, est-ce quâil tire également du mousquet?
â Bien entendu, répondit Melchior, du ton de celui qui sait tout.
â Mais vous nâallez pas mourir, papa, nâest-ce pas? demanda Eugène.
Lâenfant semblait terrorisé. Le docteur lui fit signe de venir tout près de lui et le fit grimper sur ses genoux.
â Ne tâen fais pas, fiston. Les régiments ont besoin des médecins pour soigner les blessés et je nâirai pas au front. Je reste à Chambly, car ici est mon devoir.
â Pourquoi a-t-on demandé à Stubinger dâorganiser lâhôpital du camp, et non pas à vous, docteur Talham? lâinterrogea Viger.
â Je ne sais trop, dit Talham.
Il avait lâair déçu. Ce poste aurait apporté un petit supplément à la bourse dâune famille qui comptait déjà quatre enfants.
â Vous savez, je ne suis quâun simple médecin de campagne. Jâai quitté lâarmée il y a plus de vingt ans, reprit Talham. Stubinger y est toujours resté et je ne peux lui en vouloir pour cela. Au contraire, je lâaiderai du mieux que je peux, comme mon devoir lâexige. Il se débat comme un diable pour organiser lâhôpital avec des moyens de fortune et certains vont jusquâà prétendre quâil est trop vieux pour venir à bout de cette tâche. Aussi bien dire que je le suis également puisque Stubinger et moi sommes du même âge. On parle même de confier lâhôpital à un médecin plus jeune. Mais je suis au bataillon de monsieur de Rouville, comme vous savez.
â Quelle ingratitude! sâoffusqua Viger.
â Au contraire, vive la jeunesse! continua Talham. Sur le front, ce sont les hommes jeunes comme vous qui risquent leur vie, car ils sont vifs comme lâéclair et nâont pas froid aux yeux.
â Mais ceux qui possèdent lâexpérience de la guerre valent aussi leur pesant dâor, protesta Viger. Ce nâest pas pour rien que lâétat-major a fait appel à des hommes comme monsieur de Salaberry père et le colonel de Rouville, qui ont connu le baptême du feu. Prenez mon exemple: je suis jeune et vaillant, mais câest tout juste si je sais marcher au pas. Au fait, ce fameux hôpital nâest-il pas situé loin du fort et du campement?
â Le gouvernement projette de faire construire de nombreuses bâtisses sur la banlieue, mais rien nâa encore été entrepris à ce jour, ce que vous pouvez constater par vous-même, et actuellement, le chaos
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