Julie et Salaberry
manquaient. Toutefois, se retrouver face à face avec René la troublait. Il était pourtant loin, le jour où elle lâavait supplié de lâépouser. Le notaire de Chambly comprit que sa présence provoquait un certain malaise et se fit discret. Le docteur Talham donnait les dernières nouvelles.
â Votre filleule a déjà dix mois. Elle fait la joie de la maisonnée et nous espérons que sa marraine viendra bientôt la voir. Les garçons sont de véritables petits diables, sauf notre Charlot qui est bien tranquille. Mais vous comprenez quâà cause des pénibles circonstances qui nous ont amenés jusquâici, jâai laissé ma chère petite fleur dans un grand état dâagitation.
â Marguerite serait-elle malade, docteur Talham?
â Non, soyez sans crainte. Mais⦠sans doute nâêtes-vous pas au fait de notre malheur?
â Un malheur?
Julie pâlit.
â Quelquâun est mort? Vous mâinquiétez, docteur Talham. De quoi sâagit-il?
Le docteur allait répondre lorsque la porte sâouvrit sur Salaberry.
â Mon ange? lança-t-il dâun ton joyeux, lâair content de lui-même.
Comme lâavait prédit Hermine, la mésentente de la veille sâétait évanouie et il retira son bicorne dâun geste vif, avant dâapercevoir les visiteurs assis à la table. Salaberry prit un air contrarié, comme si on lui avait coupé son élan.
â My goodness! Eh bien, quelle surprise! Je nâose dire quel bon vent vous amène, il fait un temps de chien! Vous êtes dans la région pour affaires?
En même temps, il sâinterrogeait. Que faisaient-ils chez lui, ceux-là ? René Boileau, en qui il avait vu autrefois un rival, et le docteur⦠Il nâavait guère eu le temps de faire sa connaissance, mais lâair honnête et franc de Talham lui plaisait. Il éprouvait pour le vieux médecin une de ces sympathies spontanées qui chauffent le bois de lâamitié.
Pourtant, une tension sâétait installée entre les Salaberry et leurs visiteurs. René se sentait sur des charbons ardents. Il fallait bien quâils expliquent le motif de leur visite à lâimproviste.
â Colonel⦠avança-t-il prudemment. Nous voulions vous parler du cas de mon jeune cousin, Godefroi Lareau, qui se trouve à être le beau-frère du docteur Talham.
â Hum! Ce nom me dit vaguement quelque chose.
Salaberry cherchait dans sa mémoire.
â Il fait partie de la compagnie du capitaine de Rouville.
â Sans doute, mais ce nâest pas pour cette raison que ce nom mâest familier, commenta Salaberry, songeur. Il me semble quâon lâa prononcé devant moi récemment, mais je nâarrive plus à me rappeler à quel sujet.
â Il a été arrêté, expliqua simplement René.
Médusée, Julie écarquilla les yeux.
â Arrêté, le jeune Lareau?
Salaberry se rappela aussitôt lâobjet de lâarrestation.
â Vous nâavez tout de même pas fait tout ce chemin pour venir plaider la cause dâun déserteur?
â Le gentil Godefroi, un déserteur? Câest impossible, plaida Julie.
â Voyez, colonel, même madame de Salaberry qui connaît ce garçon ne peut croire quâil soit coupable dâune telle infamie, affirma le docteur Talham.
â Monsieur Boileau, docteur Talham, on vous a sûrement confondus, dit Julie. Vous avez cru que le jeune Lareau avait été arrêté, alors quâil sâagit vraisemblablement dâun autre. Mon mari pourra vous rassurer.
â Malheureusement, madame de Salaberry, mon cousin Godefroi Lareau est actuellement détenu au fort de Chambly à la suite dâaccusations, malveillantes croyons-nous, expliqua René.
Salaberry comprit quâon venait solliciter une faveur. Il sâapprocha de sa femme et la prit par la main pour la conduire jusquâà la chambre.
â Je crois, ma chère, que tu devrais te retirer, dit-il avec une insistance qui laissa Julie pantoise.
Le ton était courtois, mais câétait un ordre.
â Tes amis vont très bien comprendre, vu ton état, que tu as besoin de repos. Dâailleurs, ils sâen vont.
Salaberry sâéloigna pour les mettre carrément à la porte.
â Jâai parlé à Godefroi,
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