Julie et Salaberry
possibilité. Et si câétait le cas, Juchereau-Duchesnay et Salaberry se retrouveraient Gros-Jean comme devant, lâinfluence du duc de Kent ayant disparu dans une mésentente.
â Je vois, comprit Julie qui cernait des enjeux lui ayant jusquâalors échappé.
Elle admira sa belle-sÅur et lâentoura de son bras.
â Et pendant que vous gardez la tête froide, très chère Hermine, vous souffrez également, ma pauvre.
â Oh! lui confia-t-elle, se laissant aller à sa peine. Julie, si seulement vous aviez connu Ãdouard. Cet enfant était un ange descendu du ciel. Au contraire des autres, jamais il ne se mettait en colère. Il était si affectueux et devant lui, même mon père et Salaberry fondaient littéralement. Je vous souhaite un enfant comme celui-là .
Enlacées, elles pleurèrent, et Julie ressentit alors lâimmense bonheur dâavoir enfin une sÅur avec qui partager peines et joies.
Pendant que les deux femmes apprenaient à sâapprécier, Charles sâétait barricadé dans un silence farouche, puis il avait enfilé son manteau et était sorti dans le soir. «Pour me calmer», avait-il grommelé à son beau-frère.
Juchereau-Duchesnay avait remis du bois dans le poêle avant dâallumer tranquillement sa pipe. Bientôt, à travers la porte de la chambre, les murmures étouffés des femmes laissèrent passer quelques rires. Soulagé, Juchereau-Duchesnay donna le signal du départ, le fatidique colis du duc en sécurité entre les mains dâHermine.
Les Juchereau-Duchesnay avaient regagné leur logis depuis plusieurs heures lorsque Salaberry rentra. Julie sâétait endormie. Tout à lâheure, il irait sâallonger près dâelle et cette pensée le rasséréna quelque peu. à ses côtés, il arriverait peut-être à trouver le sommeil et demain, il ferait amende honorable pour son accès de colère.
Il nây avait pas pire saison pour voyager. Ce qui expliquait pourquoi lâennemi restait sagement chez lui, de lâautre côté de la frontière. Un vent du nordet soulevait le chapeau à larges bords dont sâétait coiffé René Boileau pour se prémunir contre la pluie fine qui glaçait les visages. En ce début de décembre, impossible de sortir les carrioles parce que leurs patins ne pouvaient glisser en lâabsence de neige et les charrettes sâembourbaient sur les routes détrempées. René et le docteur Talham nâavaient eu dâautre choix que de faire à cheval la route entre Chambly et Saint-Philippe, se réchauffant au hasard dâune tasse de thé ou un bol de bouillon chaud généreusement offerts par un habitant.
Le vent refusait de lâcher prise. Las de maintenir en place son couvre-chef dâune main et les guides de lâautre, René avait troqué son chapeau pour une tuque de laine à la mode du pays quâil avait eu la précaution dâenfouir dans les profondeurs de la sacoche de cuir qui pendait sur le flanc du cheval. à quelques pas derrière lui, le docteur Talham suivait, lui aussi emmitouflé dans un foulard et un chaud bonnet rouge. Ils arrivèrent ainsi, fourbus et transis, au village de Saint-Philippe où on leur indiqua facilement la maison du lieutenant-colonel de Salaberry et de sa dame.
Julie ne cacha pas sa stupéfaction à lâarrivée inopinée des visiteurs.
â Vous venez de Chambly? Et par ce temps? Mais entrez vous réchauffer près du poêle, offrit la maîtresse de maison en les voyant se cantonner sur le pas de la porte. Je suppose que vous êtes affamés. Jeanne, appela-t-elle, servez une collation à ces messieurs.
â Chère madame de Salaberry, dit le docteur avec un regard de reconnaissance tout en se frottant les mains. Vous nous voyez moulus de fatigue, au point que jâoublie de mâinformer de votre santé, quoique⦠lâÅil du médecin constate que vous êtes dans une forme excellente, ajouta-t-il dans un sourire.
â Merci, docteur, répondit Julie tout en dissimulant sa gêne. Sa grossesse commençait à paraître et il lui déplaisait quâon la voie ainsi.
Ils dévoraient le pain et la soupe apportés par Jeanne sur la modeste table de cuisine et Julie constata à quel point ses amis de Chambly lui
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