Julie et Salaberry
de victuailles destinées au pique-nique, Salaberry, qui sâapprêtait à repartir, bousculait tout sur son passage, jetant des regards venimeux aux domestiques qui sâaffairaient.
Il avait fait un voyage éclair à Chambly, accompagnant lui-même sa femme quâil voulait savoir en sécurité au manoir de Rouville. La situation se détériorait dans les régions du sud-ouest de Montréal qui étaient placées sous sa responsabilité. Les hommes du général Wade Hampton avaient commencé à se masser le long de la frontière et abandonné la route dâOdelltown, câest-à -dire Lacolle, pour la rivière au Saumon et le lac Saint-François. Il y avait un gué facile à passer, sur la rivière Châteauguay, et il devait préparer la défense.
â Je ne sais pas ce qui a pris à ton frère dâorganiser un pique-nique, alors que toutes les troupes se rassembleront bientôt sur la frontière et à Montréal. Comme si la guerre nâexistait pas! fulmina Charles, sa colère surtout dirigée vers Ovide.
Rouville! Il sâétait plaint à Vassal de Monviel de la discipline trop dure des Voltigeurs et demandait son transfert dans les milices dâélite. Dire que cette mauviette était son beau-frère! Il se retourna vers sa femme.
â Je réprouve fortement lâidée de ce pique-nique. My God ! Julie, tu es lâépouse du commandant des Voltigeurs et à ce titre, tu dois donner lâexemple.
â Charles, se défendit Julie dans une dernière tentative pour quâil lui accorde ce plaisir. Se divertir pour oublier la guerre nâest pas interdit. La plupart des officiers de la milice dâélite qui sont actuellement à Chambly nây voient aucun mal et ils ont accepté lâinvitation de mon frère. Pense que la plupart de mes amis y seront.
Un regard furibond lui répondit.
Son mari attrapa sa longue cape noire quâAntoine sâapprêtait à plier soigneusement pour la déposer dans son coffre de voyage et lâenvoya au travers de la pièce.
â Je ne suis pas un de tes Voltigeurs à qui tu donnes des ordres, se rebiffa-t-elle. Jâirai à ce pique-nique, avec ou sans ta permission.
Les vagissements du petit Salaberry réclamant à boire mirent fin à la discussion. Julie retira doucement le nourrisson de son berceau pour le présenter à son père, mais Charles avait déjà quitté la pièce sans dire adieu, laissant sa femme au bord des larmes. «Quand reviendra-t-il?» se demanda-t-elle, le cÅur gros.
â Ma sÅur! sâécria Thérèse de Niverville, excitée comme une puce en lisant le mot quâon venait de lui remettre. Le capitaine de Rouville enverra une voiture nous chercher. Quelle charmante attention de sa part! fit-elle en oubliant que le personnage avait tenté autrefois de sâen prendre à leur servante.
Elle en gloussait de plaisir en buvant son chocolat du matin.
â Hum! Hum! toussota Madeleine pour manifester sa désapprobation.
Elle avait toujours été la plus prudente des deux et jugeait sévèrement lâorganisation dâun pique-nique au moment même où la plupart des hommes en âge de porter des armes étaient cantonnés aux frontières pour les protéger de lâennemi.
â Un pique-nique! Mais à quoi pense-t-il? Avec le blé à quatre piastres le minot, qui peut se targuer de manger du pain aujourdâhui? Les habitants se sont nourris de mauvaises pommes de terre tout le printemps. Et maintenant que la plupart des hommes valides sont mobilisés dans les milices, on se demande qui fera la récolte. Bientôt, nous en serons réduits à mourir de faim.
â Mais le capitaine de Rouville est si débrouillard, répliqua Thérèse qui ne comprenait pas lâindignité de sa sÅur. Sans compter que notre cousine Stubinger et son mari le docteur sont également invités.
â Je me demande ce que pense le colonel de Salaberry dâune activité aussi frivole. On mâa dit que monsieur de Rouville nây sera pas.
â Câest quâil est très occupé avec les moissons et les vergers qui commencent à donner. Mais madame de Rouville accompagnera sa fille, mâa dit Marie-Desanges.
â Malgré ces quelques réserves, il est évident que
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