Julie et Salaberry
Stanwix, dans la vallée de la rivière Mohawk, pour débusquer les rebelles. Je servais comme lieutenant sous les ordres de Rouville. Il a failli mourir de honte lorsque St. Leger a décidé de retraiter.
â Je conserve un vague souvenir dâune visite de la famille Rouville à Beauport, un été. Une fillette timide, le visage encadré par deux nattes brunes. Et un garçon au regard torve qui faisait des crises. Nous lui avions fait la vie dure, mes frères et moi, se rappela Salaberry en riant. Que deviennent-ils?
â Le fils déçoit, je crois, confia son père. Le genre de garçon trop couvé par sa mère. Mais qui sait? Sâil y a une guerre, peut-être trouvera-t-il une occasion de faire ses preuves?
â Cela arrive, répondit Charles, non sans scepticisme.
Il en avait vu, de ces fils de famille quâon enrôlait par tradition et à qui on attribuait un rang au-dessus de leurs capacités.
â Mais vous savez, ce genre dâhomme fait rarement un bon officier. Vous-même connaissez suffisamment les vertus de la discipline, father .
Monsieur de Salaberry approuva en se levant pour alimenter le feu. Sa haute stature remplissait la pièce dont les murs lambrissés de planches de noyer étaient garnis de rayonnages croulant sous le poids de livres ou de divers parchemins.
â Rouville nâa que deux enfants. à sa mort, le fils gardera la seigneurie, ainsi que tous les fiefs nobles, évidemment, et il deviendra le seigneur de Rouville. La fille aura droit à des terres qui rapportent. Sa dot sâélève à quarante mille livres.
â Et elle nâest pas mariée? Câest étrange! Une demoiselle aussi bien pourvue.
â Si jâen crois ce que mâen a dit Rouville, il ne sâest pas encore présenté un parti acceptable pour la famille.
â Elle est peut-être laide ou infirme, fit remarquer Salaberry dâun ton neutre.
Le sort de cette inconnue le laissait parfaitement indifférent.
â Au contraire! Câest un excellent parti, ajouta prestement Louis, dâun ton si particulier que le jeune homme sourcilla.
Il connaissait son père. Ce dernier avait une idée en tête.
â Whatâs up, father 8 ? demanda Salaberry, devenu méfiant.
Louis arpentait la pièce en brandissant sa lourde canne.
â Mon vieil ami Rouville suggère que nous unissions nos deux famillesâ¦
â Est-ce à dire quâune de mes sÅurs, Amélie ou Adélaïde, épouserait le fils Rouville?
â Non, assurément non, bredouilla le père. Il ne sâagit pas du fils. Malheureusement pour tes chères sÅurs, ta mère et moi nâavons plus les moyens de les doter selon leur rang.
â Pourtant, elles sont nobles! Le nom des Salaberry vaut bien des monceaux dâor.
â Tu dis vrai, mon fils. Nous avons ce nom, vieux de trois siècles. Et ce nom est ton unique fortune que tu as le devoir de transmettre à des fils.
Salaberry sursauta.
â What are you saying, father? Where are you going with all of this 9 ? demanda-t-il, passant à lâanglais, langue dans laquelle il était le plus à lâaise pour sâexprimer.
â Ne fais pas celui qui ne comprend pas, reprit Louis de Salaberry en haussant le ton, dominant Charles de sa haute taille. Rouville propose dâunir nos familles qui sont à la fois parentes et amies. Une alliance qui tâapportera la fortune, à toi qui en a peu, en échange de lâhonneur, pour elle, de porter un nom glorieux. Ne me regarde pas ainsi, Salaberry, ordonna Louis, toisant son fils qui sâétait levé brusquement et lui jetait des regards furieux. Rasseyons-nous plutôt et causons.
Il remplit de nouveau les verres de porto et regagna son fauteuil. Mais Salaberry resta planté devant le feu de la cheminée.
â Songe à tes sÅurs, qui ne pourront peut-être jamais se marier, et à la vie quâelles auront, auprès de parents vieillissants. Que deviendront-elles, lorsque nous aurons quitté ce monde, ta mère et moi? Leur seule joie sera de cajoler leurs neveux et nièces. Ton nouveau grade te permet enfin de te marier. Il est temps pour toi de tâétablir. Je te propose dâépouser une femme de ton rang. De surcroît, elle possède une fortune dont tu as le plus grand besoin. Tu ne peux refuser. Câest
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