Julie et Salaberry
qui lui ai demandé, rétorqua Louis. Mais demain, tu exigeras quâil se rende à Chambly en ton nom, afin dâaller présenter tes respects à ton cousin de Rouville. Il nâosera pas refuser une requête venant de sa mère, ajouta-t-il dans un sourire satisfait qui accentuait les rides de son visage. Lâimportant, câest quâil rencontre la jeune fille. Retourne te coucher, très chère. Tu verras que tout finira par bien se passer.
Catherine opina gravement, mais elle était loin de partager lâassurance de son mari. Comme elle sây attendait, son fils nâavait pas oublié Mary et en voulait encore à son père. Charles nâavait eu dâautre choix que dâécrire à sa cousine dâIrlande une déchirante lettre de rupture. Il ignorait toutefois que sa mère avait approuvé cette décision. Plus tard, se rappela madame de Salaberry, ses appréhensions sâétaient confirmées. Elle avait appris que Mary Fortescue avait hérité du tempérament frivole de sa mère, Suzanne de Saint-François. Mais son fils, ébloui par lâamour, ou par ce quâil avait cru être lâamour, nâavait jamais eu le temps de découvrir à quel point celle quâil aimait ne lui convenait pas.
Perplexe, elle regagna sa chambre.
Son époux se cantonna dans son fauteuil, comme si ce qui venait de se passer était sans importance. Louis avait lâhabitude que ses enfants lui obéissent, même sâil fallait pour cela emprunter des moyens détournés.
Monsieur de Salaberry reprit un livre en cherchant sa page, puis se replongea dans les délices dâune de ses lectures préférées: LâArt de se taire .
6 . Cher père! Câest si bon de vous revoir!
7 . Un cousin de ma mère, je crois?
8 . Que se passe-t-il, père?
9 . Que voulez-vous dire, père? Que signifie tout cela?
10 . Mary, mon cher amour.
11 . Non. Je ne me marierai jamais. Ne comptez pas sur moi pour aller à Chambly!
Chapitre 3
De tristes nouvelles
Un mois avant ces événements, le duc de Kent et madame de Saint-Laurent étaient de retour à Londres afin de passer lâhiver au palais de Kensington où le prince disposait dâune suite dâappartements. Situé aux environs de la capitale, ce château avait depuis toujours abrité la famille royale. Restaurée au xvii e siècle à grands frais par lâarchitecte Christopher Wren, la prestigieuse résidence déplaisait pourtant à George III, le roi actuel, qui lui préférait le palais de Saint-James, au cÅur de Londres.
Le matin du 18 novembre 1811, Son Altesse Royale le duc de Kent était à sa table de travail de bonne heure, comme il en avait lâhabitude. On venait de lui remettre une missive cachetée de cire noire: une longue lettre provenant des Indes orientales et datant de plusieurs mois. Le courrier qui venait dâaussi loin par mer mettait des semaines, voire des mois avant dâarriver à destination. Lâauteur de la lettre était un lieutenant du deuxième bataillon du régiment personnel du prince, un dénommé George Gordon, en poste dans ces contrées éloignées. Dès la lecture des premiers mots, le visage du duc de Kent se décomposa.
Masulipatam, 7 avril 1811
Sir,
La nouvelle de la mort du jeune lieutenant Maurice de Salaberry a été communiquée à Votre Altesse Royale par son frère, et câest maintenant à mon tour, avec une peine immense, dâannoncer à Votre Altesse Royale le destin implacable du cher ami qui me manquera à jamais, le regretté lieutenant François de Salaberry.
Au mois de janvier, lorsque nous avons quitté notre dernier poste, monsieur de Salaberry a été atteint dâune crise de foie tellement grave quâil nâa pu quitter les lieux avec son régiment. Dans le courant du mois, il sâétait presque rétabli, mais, hélas, il a été saisi par la dysenterie qui lui a été fatale le 5 avril dernier, il y a deux jours de cela.
Comme vous avez eu la bonté dâécrire à la famille pour annoncer la mort de son frère Maurice, je ne me crois pas trop imprudent de vous demander dâavoir lâobligeance, puisque vous les connaissez bien, de leur communiquer la triste nouvelle [â¦]
Dâabondantes larmes coulaient sur les joues du
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