Julie et Salaberry
temps dâôter tes vêtements mouillés.
â Mais oui, Charles, approuva madame de Salaberry en respirant à grands coups pour se ressaisir, tu as besoin de retirer cette veste, ajouta-t-elle en désignant lâuniforme quâelle maudissait. Tu trouveras tout ce quâil te faut dans ton ancienne chambre.
â Je monte me changer, déclara Salaberry, touché de revoir sa mère vieillie et désireux dâenfiler des vêtements civils.
Madame de Salaberry tamponna ses dernières larmes et retrouva sa mine gracieuse. à lâaube de la soixantaine, ses grands yeux en amande restaient toujours aussi beaux.
Elle fit signe à Charles dâattendre en désignant une porte close quâelle poussa.
â Que se passe-t-il, mon ami? demanda-t-elle à son mari. Fébrile toute la journée parce que tu attends ton fils, tu te caches dans ton antre lorsquâil est enfin là ?
â Je devrais sans doute faire les cent pas devant la porte en triturant mon mouchoir? fit monsieur de Salaberry en ronchonnant pour masquer sa joie.
â Est-ce moi qui vous fais grogner ainsi? demanda en riant Salaberry dans lâembrasure de la porte.
Louis ouvrit les bras pour accueillir son fils.
â Te voilà major! Major de Salaberry! prononça fièrement Louis en ouvrant les bras. Quelle joie de te revoir à la maison!
Sa voix chevrotante montrait bien à quel point il était ému. Salaberry reçut avec attendrissement lâaccolade paternelle.
â Dear father! murmura-t-il . Itâs so great to see you again 6 !
Le lendemain du jour de lâAn, les deux hommes devisaient agréablement dans la bibliothèque.
Salaberry avait aussi retrouvé le plaisir des repas en famille. Pour plaire à sa mère, lâuniforme avait été remisé pour la durée de son séjour. Le jour, il portait chemise blanche à haut col et cravate nouée, redingote noire cintrée qui mettait en valeur un corps musclé, rompu à lâexercice. Mais le soir, après le souper, pour mieux profiter du porto savouré en compagnie de son père, il endossait une belle veste dâintérieur cousue et brodée par ses sÅurs, quâil avait trouvée le premier soir soigneusement étalée sur son ancien lit. Son bonheur était total.
â Il te reste des jours de permission, mâas-tu dit?
Salaberry confirma par un simple hochement de tête tout en faisant miroiter la robe du millésime exceptionnel que venait de lui verser son père, une bouteille offerte par le duc de Kent.
â Jâai quelques semaines devant moi.
Monsieur de Salaberry observait son fils, parfaitement détendu. Le moment lui sembla bien choisi pour parler de la jeune fille de Chambly.
â Jâai reçu il y a quelques jours une lettre de mon vieil ami, le colonel de Rouville.
â Comment se porte-t-il? sâinforma Charles en cherchant un visage dans ses souvenirs. Je me rappelle vaguement de ce monsieur, my motherâs cousin, I believe 7 ? Il était votre supérieur, il me semble, lors de la guerre contre les Yankees.
â Câest bien cela. Nous étions ensemble, à lâautomne de 1775, pendant le siège du fort Saint-Jean par les Bostonnais.
â Câest à cet endroit quâon vous a retrouvé sous des ruines, soutenant un pan du mur qui menaçait de sâécrouler sur vous?
Monsieur de Salaberry éclata de son grand rire. On lui réclamait souvent ses récits dâ«homme fort», en société. Il les racontait volontiers, contribuant ainsi à perpétuer la légende des Salaberry. Charles connaissait par cÅur les anecdotes de son père. Il écoutait dâune oreille distraite.
â Nous avions été faits prisonniers pour être conduits à Albany, se rappelait Louis. Mais comme jâétais blessé, on mâenvoya à lâHôpital général de Montréal. Par contre, le pauvre Rouville a passé deux longues années à sâennuyer mortellement dans les geôles américaines.
â Ce qui ne vous a pas empêché, aussitôt sur pied, avec Rouville qui venait dâêtre libéré, de retourner en découdre avec les Yankees, le relança Salaberry.
â Câétait notre devoir.
La voix de Louis se faisait nostalgique.
â Nous avons suivi Barry St. Leger jusquâà fort
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