Julie et Salaberry
prince qui dut interrompre sa lecture. Comme le rappelait son correspondant, il avait eu la pénible tâche dâapprendre aux Salaberry le décès de leur fils Maurice, survenu le 17 octobre 1809, à Tombroodra, en Inde. La nouvelle avait mis de longs mois avant de parvenir au palais de Kensington, si bien quâelle nâétait arrivée à Beauport quâau milieu de lâété de 1810.
Et voilà quâon lui apprenait maintenant que François était mort depuis des mois! Ce cher Chevalier, à qui lâon pensait chaque jour, à qui lâon écrivait régulièrement en le croyant bien vivant et sur le chemin du retour. Il était mort seul, loin de tous ceux quâil aimait. Le destin se montrait trop cruel envers les Salaberry! Deux fils: jeunes, forts et magnifiques, foudroyés par la maladie dans un pays étranger! Et ses malheureux amis au Canada qui ignoraient encore la disparition de ce deuxième enfant.
â Quây a-t-il? demanda madame de Saint-Laurent qui venait dâentrer sans être annoncée dans le cabinet particulier du prince.
â Hélas! ma très chère. Hélas! articula-t-il péniblement. Ce quâon mâapprend est terrible.
En voyant le visage dévasté de son compagnon, elle fut saisie dâun horrible pressentiment.
â Que voulez-vous dire, Edward? demanda-t-elle avec angoisse.
Madame vit soudain le redoutable cachet noir de la lettre quâelle lui arracha des mains.
â Non! cria-t-elle après avoir lu. Je refuse dây croire. Cet homme se trompe. Pas notre gentil Chevalier! Je lâaime comme un fils. Non! répéta-t-elle, la voix brisée. Je ne veux pas quâil soit mort. Câest insupportableâ¦
Elle sâeffondra dans le premier fauteuil à sa portée et la lettre maudite tomba de sa main, glissant sur le parquet.
Le prince appela à lâaide et un domestique surgit avec une petite bouteille de sels dâammoniac à respirer. Petit à petit, la belle dame recouvra ses esprits et la dure réalité reprit ses droits. Madame eut un violent frisson.
Le duc sâapprocha de sa compagne et la serra dans ses bras. Elle pleura longuement, secouée par de violents sanglots.
â Quelle effroyable tragédie, fit la voix rauque du prince, lorsquâil la sentit reprendre ses sens. Pauvres Catherine et Louis! Et dire quâil me revient encore de leur apprendre cela. Ah! Ma chère amie! ajouta-t-il en lui tapotant la main. Dieu se montre sans pitié. Je donnerais tout ce que je possède pour quâil mâépargne un aussi pénible devoir.
Or, à cette époque de lâannée, la saison de navigation entre lâAngleterre et le Canada tirait à sa fin. Combien de semaines, de mois peut-être, faudrait-il avant que leurs amis de Beauport nâapprennent la triste nouvelle à leur tour?
â Après la disparition de Maurice, François nâavait-il pas demandé à être rapatrié des Indes? demanda Madame sur un ton qui semblait reprocher au prince dâêtre responsable de cet autre malheur. Vous saviez à quel point ce pays était devenu impossible pour lui. Le climat y est invivable pour qui vient du nord!
â La douleur vous égare. Rappelez-vous! Jâai demandé immédiatement son rappel, sachant à quel point sa mère, notre chère Catherine, y trouverait un grand réconfort. Elle nâarrive pas à se remettre de la disparition de Maurice, nous a longuement écrit son époux. Mais le temps que mes ordres soient transmis là -bas, la fatalité avait fait son Åuvre.
â Pardonnez-moi de vous accabler ainsi, se radoucit Madame, jâai trop de chagrin. Je propose que vous écriviez au plus vite à Salaberry, afin quâil puisse annoncer lui-même ce nouveau malheur à ses infortunés parents avec le plus de ménagements possible.
Madame disait vrai, songea le prince. Salaberry était de retour au Canada depuis peu, avec le général de Rottenburg, son supérieur, dont il était devenu lâaide de camp. Une promotion que le duc lui-même avait favorisée.
â Je lui écris immédiatement.
â Peut-être quâen passant par New York, la lettre sera à Québec avant Noël? suggéra Madame. Même si les relations sont extrêmement tendues entre les Ãtats-Unis et
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