Julie et Salaberry
sangs tout comme les Américains qui voyaient en ces fils du pays de véritables démons. Louis était mort de peur.
â Tu nâas quâà crier toi aussi, lui suggéra Godefroi pour le sortir de sa torpeur. Hurle, mon Louis, hurle aussi fort que tu le peux. Hourra!
â Hourra! Hourra! vociféra Louis.
Il visa et tira. Puis soudain, ce fut le silence.
â Quâest-ce qui se passe? demanda Louis.
â Reste aux aguets, dit Godefroi. Les tirs ont cessé.
â Soldats, ordonna Juchereau-Duchesnay. Chargez vos armes et tenez-vous prêts.
â Par ma vie, laissa tomber Godefroi en faisant signe à son ami. Regarde le commandant.
Debout sur une souche, Salaberry se tenait droit, lâépée à la main. Faisant fi du danger, il offrait une cible facile à lâennemi.
â Mais il est fou! sâexclama Charland. Il va se faire tuer par les Yankees.
â Non, répliqua Godefroi, impressionné par le sang-froid de son commandant. Dieu le protège!
De son perchoir, la voix de Salaberry se fit entendre.
â Feu! Allons, mes braves! Feu!
Les fusils résonnèrent. Lâaffrontement faisait rage, puis il cessait pour aussitôt reprendre. Ce scénario se répéta plusieurs fois.
â Feu! tonna encore Salaberry.
Godefroi aligna une cible, tira et il crut voir un ennemi tomber.
â Je lâai eu, souffla-t-il, fiévreusement.
Puis il se pencha pour recharger son arme lorsquâun bruit sourd à ses côtés attira son regard.
â Louis! sâécria-t-il en se penchant sur son ami qui gisait à ses côtés.
Ce dernier saignait abondamment, mais il râlait, signe quâil était toujours vivant.
â Brancardier! hurla Godefroi. Par ici! Louis, regarde-moi, dit-il en se plongeant dans le regard exorbité de son ami. Hé, mon Louis, tu te rappelles, câest toi qui devais veiller sur moi. Lâche pas, mon vieux, lâche pas.
Pendant tout le temps quâil lui parlait, Godefroi sâaffairait à faire un pansement de secours pour faire cesser le saignement.
â Allez, mon Louis, lâche pas, répétait-il inlassablement.
Les brancardiers arrivèrent enfin, au son des trompettes venant de lâarrière. Suivant ses ordres, le lieutenant-colonel Macdonell sâétait avancé dès le début des combats en entendant les huzzas 25 des Voltigeurs stimulés par Salaberry. Cette cacophonie créait de nouveau lâillusion quâon arrivait de partout pour confondre lâennemi. Mais Godefroi nâentendait plus rien. Ne comptait que Louis, que deux brancardiers transféraient avec précaution sur une civière.
â Lareau, il est encore vivant, dit lâun deux. Dis-toi que tu lâas peut-être sauvé en lâobligeant à demeurer conscient. On voit ça, parfois. Retourne à ton poste et tire sur ces satanés Yankees. Tu viendras prendre de ses nouvelles à la fin des combats.
Godefroi se releva, rechargea son arme et, malgré son visage plein de larmes, tira avec une rage meurtrière, sâaccrochant à la voix de Salaberry qui criait: «Feu!» Lâennemi avait peut-être tué son ami, le seul quâil nâait jamais eu, et cette pensée nourrissait une violente fureur, inconnue, plus forte que lui.
à lâarrière, le lieutenant-colonel Macdonell était retourné à ses positions. Il devait se tenir en réserve, sur la rive sud de la rivière, prêt à intervenir si lâennemi arrivait à franchir lâabattis, conformément à la stratégie élaborée par Salaberry.
La bataille continuait de faire rage. Les généraux de Watteville et Prévost nâavaient toujours pas fait leur apparition sur le champ de bataille. Entre le moment où Watteville fut averti du début de lâaffrontement et celui où Prévost, encore plus éloigné du lieu de lâaction, le fut également, la matinée sâétait déjà écoulée.
â Il semble que nos avant-postes soient engagés, rapporta Watteville lorsquâil rejoignit Prévost qui se tourna alors vers son aide de camp.
â Boucherville, allez donc à lâavant voir ce qui se passe. Nous vous suivrons de loin. Venez, Watteville.
Mais Boucherville revint sur ses pas aussi vite quâil était parti. Il nâétait pas allé loin, interceptant un
Weitere Kostenlose Bücher