Julie et Salaberry
Sorel, un trajet comportant de nombreux arrêts obligatoires, tout au long de la route, pour changer les chevaux ou déposer le courrier, et câétait sans compter les mauvaises auberges où il fallait passer la nuit.
Pourtant, il découvrait un paysage entièrement différent de ce quâil connaissait. Aux alentours de Québec et de Beauport, les rives escarpées du fleuve modelaient un relief tout en descente ou en remontée. On contemplait au loin les courbes arrondies des Laurentides ou dâimposants massifs rocheux aux parois abruptes. Mais passé Trois-Rivières, lâimmense plaine du Saint-Laurent sâétalait.
à lâendroit appelé Sorel, où la rivière Chambly venait se jeter dans le fleuve, on lui avait indiqué une route qui longeait la rive et le mènerait au but de son voyage. Mais comme la lettre de madame de Salaberry aux Rouville annonçant sa visite ne précisait pas sa date dâarrivée, Salaberry avait choisi de faire tout autrement et emprunté la direction de Montréal.
Salaberry avait été surpris de voir à quel point cette ville pourtant peuplée de riches marchands de la Compagnie du Nord-Ouest faisait figure de village auprès de Québec. Montréal comptait à peine une dizaine dâédifices plus imposants que les maisons de pierre grise qui la composaient. à lâintérieur de vieilles murailles en ruine, entrecoupées de petites rues, deux artères principales, Saint-Paul et Notre-Dame, traversaient la cité dâest en ouest et menaient dans les faubourgs. Il avait inspecté les alentours des casernes de lâarmée à la recherche dâune ou deux pièces à louer, puisque son service auprès de Rottenburg lâamènerait à vivre dans cette ville. Après avoir trouvé, il nâétait demeuré quâune nuit au Montreal Hotel avant dâeffectuer la périlleuse traversée sur le fleuve gelé pour atteindre Longueuil. Il avait rencontré les Papineau à cet endroit et accepté leur invitation à partager une voiture fermée. Un quatrième passager, qui pour lâheure dormait profondément, sâétait joint à leur équipée.
Il se retourna vers la vitre givrée, imaginant les bordages glacés. Sur le chemin de Chambly, câétait plat à perte de vue, et aucun relief pour arrêter lâimpitoyable noroît qui pénétrait jusque dans les interstices de la voiture.
«Brrr! Je vais attraper la mort, si ça continue, se dit-il en se blottissant un peu plus sous une épaisse peau de buffle. Une jeune fille élevée dans un endroit pareil, aussi noble et riche soit-elle, ne peut me convenir. Je nâai rien de commun avec ces gens.»
Il imaginait la famille de sa cousine de Rouville vivant dans cette lointaine seigneurie de Chambly: une pauvre fille au teint blafard tirant lâaiguille au coin du feu sous lâÅil dâune mère gâteuse et dâun vieux militaire radotant à cÅur de jour. Salaberry était déterminé à faire avorter le mariage projeté par son père et Rouville. Afin de rompre la monotonie du trajet, il sâintéressa enfin à ses compagnons dâinfortune.
â Dites-moi, monsieur Papineau, quand commencera la prochaine session de la Chambre à Québec?
Son père lui avait dressé un portrait rapide de la situation politique actuelle et lui avait appris que Louis-Joseph Papineau était un jeune homme prometteur. Après des études de droit, à vingt et un ans à peine, il avait été élu député du comté de Kent, où se trouvait Chambly en 1808, et il lâétait toujours.
â Nous sommes en janvier et les travaux ne reprendront que fin février, expliqua le parlementaire. Jâaccompagne ma sÅur qui se rend chez une amie afin de lâassister dans ses prochaines relevailles.
â Il sâagit de madame Talham, lâépouse du docteur, précisa Rosalie.
â Et vous, major, pourquoi allez-vous à Chambly? sâenquit à son tour Papineau. On vous attend au fort?
Situé au cÅur dâun vaste territoire entre le Saint-Laurent et le lac Champlain, lâendroit était névralgique pour la défense du pays et on y maintenait depuis toujours une garnison. Le militaire était-il en mission? se demandait Papineau depuis le
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