Julie et Salaberry
lâAngleterre, des bateaux arrivent encore à bon port, nâest-ce pas?
â Jâapprouve cette idée. Je crois savoir que le dernier packet boat part de Portsmouth.
â Nous trouverons consolation auprès dâÃdouard, notre cher filleul qui restera près de nous, ajouta Madame.
Le plus jeune des Salaberry allait avoir vingt ans. Toujours aussi affectueux, il achevait de brillantes études en génie militaire. Dans les cÅurs de Madame et du prince, Ãdouard avait pris la place de lâenfant quâils avaient perdu, autrefois, à Québec. Madame avait donné naissance à un fils illégitime, mais il avait fallu sâen séparer pour le confier à une bonne famille. Seul le soutien indéfectible de son amie Catherine de Salaberry lui avait permis de surmonter cette épreuve. Madame avait alors reporté ses sentiments maternels sur les fils Salaberry, et plus particulièrement sur Ãdouard, qui vivait avec eux depuis près de huit années.
â à ce propos, dit alors le prince, soudainement embarrassé, il faut que je vous dise⦠Ãdouard a demandé à joindre lâarmée de Wellington, au Portugal. Jâhésitais à vous en parler, sachant que cela vous causerait du chagrin.
â Comment? Dieu mâentende! sâexclama furieusement Madame, malgré sa peine. Je ferai tout pour empêcher cela. Notre Ãdouard restera en Angleterre, auprès de nous!
Le duc de Kent refusa de discuter.
â Mon secrétaire, ordonna Son Altesse Royale en avisant le domestique, perruque blanche et livrée impeccables, qui attendait silencieusement le bon vouloir du prince. Dites-lui quâil y a du courrier urgent à copier. Ensuite, trouvez-moi un messager prêt à partir sur-le-champ.
En attendant lâarrivée de son secrétaire, le duc écrivit sa lettre à Salaberry.
Palais de Kensington, 18 novembre 1811
Mon cher de Salaberry,
La copie de la lettre qui accompagne ce courrier vient du lieutenant Gordon, de mon deuxième bataillon. Elle contient le compte rendu de la mort du pauvre Chevalier que je viens à peine de recevoir, et que je me dépêche dâenvoyer par un bateau rapide aux Ãtats-Unis. Il pourrait, par chance, vous rejoindre à Québec avant le packet boat par lequel la London Gazette se rendra au Canada, afin que vous puissiez annoncer la nouvelle à vos valeureux, mais si infortunés parents.
Je ne peux pas vous exprimer à quel point madame de Saint-Laurent et moi-même sommes affligés par ce nouveau coup du sort qui suit le premier, après si peu de temps. Et avec quelle angoisse nous pouvons imaginer le choc que cela fera à vos parents âgés.
Ainsi, nous espérons que le fait dâapprendre que nous sympathisons avec leur douleur et leur détresse réduira leurs souffrances. Souhaitons que le temps leur permette de se résigner devant lâinéluctable dessein de la Providence.
Je vous prie instamment, mon cher de Salaberry, de rappeler à vos parents, mes vieux amis, que nous sommes toujours, Madame et moi, très attachés à leur souvenir.
Edward
Le messager se présenta. Entre-temps, le secrétaire avait transcrit la lettre du lieutenant Gordon à lâintention des Salaberry, de même que celle du prince à lâofficier canadien; ces copies étaient destinées aux archives personnelles du prince. Edward Augustus plia les deux parchemins, scella le tout en apposant son sceau sur la cire ramollie et tendit le précieux pli au messager.
â Vous partez immédiatement à Portsmouth, bride abattue. Vous avez ordre dâarriver avant le départ du prochain navire en partance pour New York.
â à vos ordres, Sir, fit le messager avant de disparaître.
â Pourvu quâil arrive à temps, confia le duc à sa compagne. Il y a plus de quatre-vingt-cinq milles entre Kensington et Portsmouth, mais le packet boat de New York est la manière la plus sûre et la plus rapide dâacheminer des nouvelles à Québec, du moins tant que le blocus sur mer entre lâEurope et lâAmérique laisse passer le courrier.
Madame essuya ses yeux rougis et se leva.
â Tant de douleur et de chagrin! se désola-t-elle. Je vais prier pour que Salaberry reçoive ce courrier avant les autorités militaires de Québec. Il faut que Catherine et Louis soient mis
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