Julie et Salaberry
au courant de la bouche même de leur fils, et de personne dâautre. Et, ajouta Madame, leur seule consolation sera le retour dâÃdouard auprès dâeux. Je me permets dâinsister, mon ami, car je ne vois rien dâautre.
â Comme vous avez raison, ma très chère. Jâentreprends immédiatement des démarches afin que, dès la fin de lâhiver, à la reprise de la saison de navigation, Ãdouard rentre à Québec. Il ne nous reste plus quâà tout remettre entre les mains de Dieu et à lui faire confiance.
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Chapitre 4
La rencontre
â Oh, là , là ! Mais quel tapecul!
La demoiselle, qui venait de se frapper la tête sur la paroi vitrée dâune carriole à quatre places de la liaison Longueuil-Chambly, appartenait de toute évidence à une classe sociale aisée. Son épais manteau de drap bordé dâune fourrure assortie à son manchon et ses bottines de cuir fin trahissaient la bourgeoise. La réflexion laissa indiffé-rent lâhomme assis à ses côtés. à peine un mince sourire, discret, vint adoucir lâair sévère dâun visage altier qui aurait pu servir de modèle à un artiste. La ressemblance entre les jeunes gens montrait quâil sâagissait du frère et de la sÅur. Rosalie Papineau faisait maintenant des contor-sions afin de retirer une main gantée du manchon. La manÅuvre réussie, elle entreprit de se masser le crâne tout en vitupérant.
â Monsieur mon frère, Louis-Joseph Papineau, me serre de si près sur le siège de cette carriole inconfortable⦠quâon dit dâune grande nouveauté parce que couverte, mais que le diable mâemporte si je nâétouffe pas bientôt tant nous sommes à lâétroit!
Elle sâadressait à tous les passagers de la voiture en général. Dehors, le froid de janvier et le vent piquaient le visage emmitouflé du cocher.
â Et on ne peut pas dire que ce chemin soit entretenu. Pour nous rendre à Chambly, nous aurions pu emprunter celui de La Prairie qui est en meilleur état que cette vieille route, tout le monde le sait. Mais Papineau y tenait!
Moins jolie que son frère, la demoiselle possédait toutefois une physionomie qui devait être fort avenante lorsquâelle nâétait pas contrariée par les inconvénients dâun chemin cahoteux.
â Jâen ai vu dâautres, commenta Papineau. La route qui mène à Québec est en pire état que celle de Chambly.
â On dit pourtant que cette route abominable est la plus ancienne de tout le Canada. Certes, elle comporte plus de bosses et dâornières que toutes celles du Bas et du Haut-Canada réunis. Fâcheux exploit!
Elle sâexprimait avec vivacité, au point que son large bonnet dâhiver laissa échapper quelques mèches brunes.
â Quel est votre avis, major de Salaberry? Les routes anglaises sont-elles plus belles que les nôtres?
Le militaire assis en face dâelle somnolait depuis le départ de Longueuil. Et Rosalie, qui supportait difficilement le silence, avait décidé quâil était temps que ce voyageur intrigant se mêle aux autres.
â Mademoiselle, peu importe le pays, il se trouve toujours quelquâun pour se plaindre de lâétat des chemins, câest tout ce que je puis dire.
Salaberry nâétait pas dâhumeur à faire des manières. Rosalie, avec son bavardage incessant, monopolisait la conversation, et pour sa part, câétait très bien ainsi.
â Maintenant, je comprends pourquoi mon amie de Chambly, lâépouse du docteur Talham, ne vient plus nous voir à Montréal, poursuivit la demoiselle. On risque sa vie simplement à vouloir se rendre visite.
â Je partage votre avis, soupira le militaire. Et seule une obligation impérieuse peut contraindre quelquâun à voyager par ce temps.
«Ce village du diable est à lâautre bout du monde!» se dit-il.
Madame de Salaberry lâavait enjoint de se rendre à Chambly afin de rappeler son affection et son bon souvenir à son cousin monsieur de Rouville. Il nâavait pas osé refuser une faveur à sa mère assombrie par le chagrin.
Le voyage se révélait une expérience éprouvante. à Québec, il avait trouvé une voiture pour se rendre jusquâÃ
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