Julie et Salaberry
la demoiselle Emmélie Boileau â, lâautre étant enfouie dans un repli de son manteau pour la tenir au chaud.
La porte de la belle demeure aux murs lambrissés et peints en rouge sang de bÅuf sâobstinait à rester close. Pourtant, de la lumière sâéchappait des fenêtres du rez-de-chaussée et de lâétage. Elle refrappa avec insistance et Perrine se retrouva devant lâimposant tablier dâUrsule. Elle sourit et amorça un mouvement pour entrer, heureuse de se réchauffer auprès de lâimmense âtre de la cuisine, comme elle avait coutume de le faire. Les deux femmes entretenaient une vieille amitié faite de confidences sur leurs maîtres respectifs, dâéchanges de recettes ou de méthodes éprouvées, acquises au service des familles de notables de la seigneurie de Chambly. Mais ce jour-là , la cuisinière des Boileau offrit à Perrine un visage aussi glacial que lâair de janvier. Elle sâempara vivement du billet tendu par une main tremblante et, sans prononcer un seul mot, referma brutalement la porte, laissant la pauvrette pétrifiée sur le seuil.
Le cÅur lourd, la domestique rebroussa chemin en pressant le pas. De la maison rouge au chemin du Roi, il y avait une allée bordée dâormes que Perrine remonta dâun pas vif, les yeux fixés au sol pour ne pas apercevoir les esprits follets qui pouvaient sâamuser dans la noirceur, entre les longues branches dénudées de la haie. Elle-même ne les avait jamais vus, mais une cousine de Pointe-Olivier lui avait raconté comment quelquâun de sa connaissance⦠Oh! Elle préférait ne pas penser à ça. Vivement, elle fit le signe de la croix. Trois fois, pour bien se protéger du mal.
En proie à une terreur subite, Perrine nâentendit pas le bruit des chevaux. Lorsquâelle releva les yeux, ce fut pour apercevoir les lueurs des lanternes des carrioles qui venaient de bifurquer en direction de la maison. Lâespace dâun instant, elle crut voir les mauvais esprits de la nuit. Apeurée, elle fit un saut sur le bas-côté pour éviter la première carriole et perdit lâéquilibre. Elle se retrouva étalée de tout son long sur le sentier glacé. Câen était trop! Les yeux embués de larmes, elle se redressa péniblement sur ses mains nues, avec pour résultat quâelle aurait certainement des engelures, et courut pour atteindre la maison des Bresse.
â Mais que tâarrive-t-il, ma pauvre Perrine? se désola Françoise Bresse en voyant sa domestique. Allons, viens tâasseoir près du feu.
La servante sortit un grand mouchoir dessous son tablier pour se moucher bruyamment.
â Ah! Madame, câest terrible!
Tout en cherchant à la réconforter, sa maîtresse tentait vainement de saisir un mot audible à travers les pleurnichements de Perrine.
â Ah! Madame, si vous saviez! marmonnait sans cesse cette dernière en se tamponnant les yeux.
â Mais oui! Je veux savoir, sâimpatienta Françoise. Que sâest-il passé pour te mettre dans un tel état?
Perrine fit un effort pour contenir ses larmes.
â Jâen étais toute retournée, bredouilla la servante, lâesprit plongé dans une sorte de brouillard. Une chose incroyableâ¦Â madame! Câest bien la preuve quâil y a de la magie dans le pâtit bois dâà côté. Les esprits de la nuit, je les ai presque vus. Ah! Vous riez, mais si vous pensez à tous ces Sauvages qui sont morts par ici, sans baptême, câest ben certain que leurs âmes rôdent dans le pâtit bois des Boileau. à câquâon dit, du sang de Sauvages coule dans les veines de câmonde-là . Jâvous lâdis, madame. Il faudra mander lâengagé pour porter vos messages, parce que moi, eh bien, je nâirai plus là -bas, ajouta-t-elle dans un nouveau reniflement.
â Folleries! la rabroua sa maîtresse. Il nây a ni esprit ni magie! Ressaisis-toi, ma pauvre fille, gronda madame Bresse. Et raconte ce qui sâest réellement passé.
â La calèche du diable, madame! Jâai eu la peur de ma vie.
â Voyons! Câétait sans doute des invités de la demoiselle Boileau. Mais il y a autre chose, ma fille, et jâaimerais que tu finisses par le dire.
Finalement, Perrine raconta
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