Julie et Salaberry
mère,
Jâai été reçu à bras ouverts par nos cousins, comme vous lâaviez prédit, et jâai obligation de vous transmettre sans tarder les vives démonstrations dâamitié de monsieur et madame de Rouville. Notre cousine, Julie, sâest révélée fidèle à la description que vous mâen aviez faite: une demoiselle plaisante et bien éduquée. Elle est bien faite de sa personne et possède un visage agréable avec de très jolis yeux qui vous fixent avec intérêt lorsque vous parlez. La douceur de son caractère me rappelle le vôtre, chère mère. Je lâai fait rire avec mon français laborieux parsemé de mots anglais.
Chambly nâest pas un endroit très peuplé. Avec la campagne, il y a peut-être mille habitants tout au plus, et une garnison au fort. Ce soir, jâaccompagne les Rouville chez leurs amis Boileau. Je compte mâattarder encore quelques jours dans la région. Avant de me rendre à Chambly, je me suis arrêté à Montréal où jâai loué une chambre près des casernes. Demandez à Antoine de venir mây rejoindre dès réception de cette lettre, car jâai grandement besoin dâun domestique.
Avez-vous des nouvelles de Chevalier et dâÃdouard?
Mes meilleurs sentiments à Hermine et à son mari Juchereau-Duchesnay.
Je vous embrasse, chère mère, et saluez Adélaïde et Amélie pour moi. Sans oublier mon père.
Votre fils attentionné, Charles de Salaberry
à la lecture de cette lettre, Louis soupira.
â Je tâavoue que je suis très déçu. Depuis son retour au Canada, je trouve notre fils avare de nouvelles, déplora le père. Jâen ai plus quâassez que François, notre cher Chevalier, se trouve à lâautre bout du monde et quâil faille attendre des mois avant dâentendre parler de lui. Et puis, quel laconisme! La jeune fille est plaisante, câest tout ce que nous avons le droit de savoir.
â Tu tâattendais à un coup de foudre? demanda Catherine. Pour ma part, je considère que ce ne sont que des feux de paille. Ce que mon cÅur de mère comprend de cette lettre, câest que cette demoiselle lui a fait une forte impression, mais il ne lâa pas encore constaté lui-même. Il faut laisser à cette sorte dâamour le temps de faire son chemin. Câest un sentiment qui croît un peu plus chaque jour, presque imperceptiblement. Tu verras.
â Je vais lui écrire. Dois-je lui donner quelques conseils pertinents? Jâai peur quâil ne reparte de Chambly et que la jeune fille épouse quelquâun dâautre. Câest bien beau lâamour, mais il faut quâil prenne en compte la dot.
â Mon pauvre ami. Tu tâen fais pour rien, répondit Catherine en déposant son ouvrage de broderie sur un guéridon. Ne tâen mêle surtout pas, lui conseilla-t-elle.
Elle posa sur son mari un regard attendri. «Au contraire des femmes, songea-t-elle, les hommes ignorent totalement toutes ces petites choses qui font que lâamour finit par éclore.»
12 . Oui, câest vrai. Il fait très froid ce soir, nâest-ce pas?
13 . Nâest-ce pas?
Chapitre 7
Le galant dâEmmélie
Perrine, domestique chez monsieur et madame Bresse, était une bonne chrétienne. Quoiquâun peu superstitieuse, elle nâavait rien à craindre des foudres du curé Bédard qui aurait pu la citer en exemple à toute la paroisse. Elle se rendait à lâéglise plusieurs fois par semaine pour assister à la basse messe, sans oublier celle du dimanche. La servante connaissait sa place et se dévouait entièrement à ses employeurs, la meilleure manière à son entendement pour sâassurer du gîte, du couvert et de la vêture pendant une vie entière.
Tôt après le souper, madame Bresse lui avait confié une importante mission. Après avoir assisté aux vêpres, lâoffice du soir, Perrine sâétait donc présentée à la porte de service de la maison voisine, grelottant dans le soir, sa lanterne déposée sur le sol, attendant quâon lui ouvre. Dans sa précipitation, elle était partie sans gants ni manchon. Dâune main nue, elle serrait fortement un bout de papier plié en deux â un billet de sa maîtresse destiné Ã
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