Julie et Salaberry
de cinq ans que ses frères sâamusaient à faire fâcher en tirant sur ses nattes. Elle replaça une mèche blonde échappée de son bonnet de coton orné de dentelles, essuyant une larme au passage. Des coups de heurtoir à la porte du presbytère apportèrent une heureuse distraction. Marie-Josèphe se leva pour ouvrir, découvrant monsieur et madame Bresse dans lâembrasure de la porte.
â Vous tombez bien, Bresse, les salua le curé en apercevant le négociant. Jâai à vous entretenir des nouveaux développements de notre affaire.
Le marchand Bresse sâempressa de relater lâincident dont Perrine avait été victime en sortant de chez les Boileau.
â Câest inadmissible! sâindigna le prêtre. Le diable est rendu dans cette maison.
Les yeux bleus de Marie-Josèphe, habituellement si doux, se durcirent.
â Ce qui est le plus étrange dans toute cette affaire, nota-t-elle, sarcastique, câest que ce sont les femmes qui prêchent la raison, pendant que les hommes, le représentant de Dieu à leur tête, allument les tisons de la guerre.
â Mais tu blasphèmes! lâaccusa ce dernier.
â Et ne compte surtout pas sur moi pour mâen confesser, rétorqua sa sÅur.
Encouragée par son audace, Françoise darda son mari dâun regard noir. Joseph lâavait obligé à envoyer un mot dâexcuse à Emmélie et elle ne pourrait faire la connaissance du major de Salaberry qui était de passage à Chambly.
Joseph Bresse bredouilla:
â Câest normal. Les femmes ne doivent-elles pas obéissance à leur mari?
â Et les sÅurs à leur frère, approuva le curé, coupant court aux récriminations de ces femelles en furie.
â Voyez-vous ça! Un nouveau commandement de lâÃglise à mon intention?
Marie-Josèphe défia son frère du regard.
â Puisque câest comme ça, grommela le curé, inutile de nous faire bourrasser plus avant. Bresse, vous venez avec moi? demanda le curé en coiffant un bonnet noir doublé de fourrure.
â Mais où vas-tu? sâinquiéta lâavocat Bédard.
â Chez le diable! aboya le curé.
Et il franchit la porte, Joseph Bresse sur les talons, laissant les dames et son frère interdits sur le seuil du presbytère. Après tout, il était le curé de la paroisse et rien ne lâempêchait dâaller prêcher la bonne parole chez ses paroissiens, à lâheure qui lui convenait. Il fonça droit chez les Boileau.
En se rendant à la cuisine pour les dernières instructions à Ursule en vue de la soirée, Emmélie avait assisté à la scène entre les deux domestiques.
â Vous nâavez pas honte de traiter ainsi votre vieille amie?
Ursule prit un air outragé en grommelant des paroles de protestation. Grâce à son talent de bonne cuisinière, la table de la famille Boileau était réputée dans toute la région. Forte de cette prérogative, la domestique se voyait au haut de lâéchelle des employés de maison et personne nâosait lui tenir tête, pas même madame Boileau, à lâexception de la demoiselle Emmélie.
â Mais ces Bresse disent pis que pendre sur le compte de monsieur, se justifia-t-elle.
â Ne vous mêlez pas de ça, ordonna sèchement la jeune fille en lisant le billet de madame Bresse.
Chère mademoiselle Boileau,
Je vous prie dâaccepter nos excuses. Monsieur Bresse, ma sÅur, mademoiselle Sabatté, et moi-même sommes dans lâimpossibilité dâassister à votre soirée. Assurez madame votre mère de mon plus profond attachement et croyez à la sincère amitié de votre humble voisine,
Françoise Bresse, née Sabatté
Consternée, la jeune fille soupira.
La mésentente autour du ponceau avait dégénéré et plusieurs femmes le déploraient, sachant quâun conflit de ce genre pouvait avoir des répercussions pendant des années. Câest pourquoi Emmélie persistait à inviter tous les habitués à ses soirées sans distinction, bravant ainsi son père.
Elle sâapprêtait à rejoindre les premiers arrivés installés dans la chambre de compagnie, lorsquâun tintement de clochettes et le son feutré de patins sur la neige annoncèrent lâarrivée
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