Julie et Salaberry
nature derrière des apparences qui écartent le lecteur. Nous devrions mépriser Manon pour ses actes, car câest une courtisane qui ne recule devant rien pour réussir à obtenir quelque argent, et pourtant, impossible dây parvenir, parce quâelle arrive à nous convaincre quâelle aime sincèrement le chevalier des Grieux. Elle le suivra aussi loin quâen Louisiane où elle meurt.
â Câest beau, mais triste. Et comment est-il, ce chevalier des Grieux?
â Je ne crois pas quâil vous plaise, vous êtes si différent de lui.
â Really! Et en quoi suis-je si différent?
Comment dire à Salaberry quâil dégageait une telle impression de force, quâil nâaurait probablement jamais souhaité mourir, même à la suite dâune grande peine dâamour, comme lâavait voulu le chevalier des Grieux après la mort de Manon?
â Vous êtes fier, vous êtes un homme de devoir. Pas lui. Il nâa pas votre caractère.
â Câest ce que vous croyez? Câest un beau compliment que vous me faites là . Mais il sâagit dâune histoire dâamour⦠Enfin! Je promets de lire Manon Lescaut et de vous donner mon opinion. Il nous sera agréable dâen discuter. Que dites-vous de cela, chère Julie?
â Oh! Monsieur⦠Je veux dire, Charles. Eh bien, câest une bonne idée! Peut-être mon père acceptera-t-il de vous prêter son exemplaire?
â Voilà qui est décidé, conclut-il. Et maintenant, parlez-moi de ces gens chez qui nous sommes invités ce soir. Je ne vous cache pas que jâai déjà entendu parler de cette familleâ¦
â Jâai hâte de vous présenter mes amis, sâanima Julie. Emmélie Boileau vous plaira, jâen suis certaine, de même que sa sÅur Sophie qui est gracieuse et si amusante. Emmélie est plus sérieuse et, dâailleurs, mon père la tient en grande estime. Vous devriez les entendre discuter de Voltaire!
â Je reconnais là un point commun entre votre père et le mien. Dear father , il ne peut vivre que sâil est entouré de ses livres, confia Salaberry. Nous irons donc ensemble à cette soirée.
Julie se dit que câétait là lâoccasion attendue. Mais comment lui poser la question embarrassante qui la tracassait?
â Charles, dit-elle, cherchant ses mots. Savez-vous quâil court déjà une rumeur sur notre compte?
Et Julie lui fit part de la remarque de Rosalie. Il se mit à rire.
â Cette jeune personne fait preuve dâun franc-parler peu commun.
Julie soupira dâaise en voyant quâil prenait la chose en riant.
â Pourquoi paraissez-vous si soulagée? Je ne suis pas un parti suffisamment acceptable aux yeux de la noble demoiselle de Rouville? Je vous taquine, se défendit-il en voyant son visage qui sâallongeait. Je ne vous cache pas que mes parents souhaitent ardemment que je me marie. Je suis lâaîné, voyez-vous.
Il hésita avant dâajouter:
â Mais une amère déception a fermé mon cÅur à lâamour, ajouta-t-il dâune voix étrange.
En prononçant ces derniers mots, il nâétait plus sûr dây croire. Il contempla Julie. Elle éveillait en lui quelque chose quâil croyait mort.
â Auriez-vous de votre côté un engagement? enchaîna-t-il. Une petite lueur dans vos beaux yeux me le fait penser.
â Je vous assure que non, mentit-elle avec beaucoup de vivacité, car elle ne tenait pas à lui confier ses sentiments.
Sentant ses joues sâenflammer, elle se détourna de son regard.
Charles lâobservait. Comme elle était différente de Mary, sa belle Irlandaise! Rieuse et enjouée, Mary était spontanée, prompte à se lancer dans un mariage qui, il devait se lâavouer aujourdâhui, aurait été hasardeux. Que penser de Julie? Du peu quâil connaissait dâelle, il appréciait sa sensibilité et la douceur de son caractère. Elle affichait une sorte de pudeur qui lui plaisait, car il devinait derrière cette façade réservée une force sur laquelle il faisait peut-être bon sâappuyer.
«Qui sait, finalement, si je nâenvisage pas de me marier un jour?» songea-t-il encore.
Perplexe, Salaberry quitta la pièce.
Chambly, 13 janvier 1812
Ma très chère
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