Julie et Salaberry
intelligent chez une femme. Emmélie Boileau sâintéressait aux arts et à la politique avec beaucoup de sérieux, et non pas par simple curiosité mondaine.
â Chère demoiselle. Nous nâavons guère eu le temps de nous connaître et il me plairait dâéchanger nos points de vue sur un certain nombre de sujets.
Il hésita, se rappelant comment elle avait éconduit Rouville tout à lâheure, puis se risqua:
â Jâaimerais vous écrire lorsque je serai à Québec. Puis-je?
Une onde de chaleur envahit Emmélie. Elle aussi se sentait attirée par cet homme grave et réfléchi, au demeurant fort séduisant, qui souhaitait entreprendre une correspondance avec elle.
â Monsieur Papineau, jâattendrai vos lettres, répondit-elle simplement.
Papineau eut un sourire radieux et soudain, Emmélie nâeut plus dâappétit.
En refermant la porte sur les derniers invités, Emmélie, Sophie et René émirent de concert un soupir de soulagement et pouffèrent dâun rire complice.
â Qui aurait pu imaginer que de simples caisses dâhuîtres possèdent un si grand pouvoir de raccommodement? fit remarquer Sophie.
Cependant, la porte du cabinet de monsieur Boileau claqua avec fracas.
â Ne vous en faites pas, mes enfants, les rassura madame Boileau avec philosophie. Lâorgueil est un péché, ce qui ne signifie pas quâun bon chrétien comme votre père en soit exempt. Pour ma part, déclara-t-elle, jâai passé une excellente soirée et je vais me coucher. Dâailleurs, vous devriez tous faire de même. Autant dâémotion épuise et je dois avouer que ce soir, nous avons rempli notre canot à ras bord.
â Mais demain, mère, vous devrez nous parler de ce fameux capitaine allemand, fit Emmélie avec un sourire malicieux.
Pour toute réponse, la bonne dame se mit à rire et disparut dans lâescalier avec Zoé. Sophie et Emmélie regagnèrent également la chambre quâelles partageaient.
Resté seul, René approcha un fauteuil pour être plus près du feu qui diminuait dans lââtre.
Une ride profonde se creusa sur son front. Lâattitude empressée dâOvide de Rouville auprès de sa sÅur Emmélie était beaucoup plus inquiétante. Le notaire était bien placé pour connaître sa nature malfaisante, lâayant vue à lâÅuvre. Autrefois, Rouville avait délibérément provoqué lâincendie de lâéglise de Chambly en soudoyant un misérable voyou pour accomplir cette besogne criminelle. Messire Bédard connaissait ce fait, mais les preuves manquaient pour accuser le fils dâun seigneur. à part lui-même et le curé, qui savait à quel point Rouville pouvait être dangereusement rusé? Il avait bien manÅuvré ce soir. Le fils Rouville entretenait les rumeurs de possibles fiançailles avec Emmélie afin de flatter la vanité de son père. Tout cela augurait des ennuis plus difficiles à résoudre que ceux provoqués par la reconstruction dâun ponceau au-dessus dâun fossé.
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Chapitre 8
Le rêve de Salaberry
Depuis un quart dâheure, Salaberry faisait antichambre. De passage à Montréal, le gouverneur et commandant en chef des troupes en poste au Canada, Sir George Prévost, lâavait fait appeler, mais il était toujours enfermé dans un cabinet avec son secrétaire militaire, Noah Freer.
â Salaberry, si seulement vous consentiez à vous asseoir plutôt que de faire les cent pas, se plaignit le baron Francis de Rottenburg, général de brigade du 60 th Foot et supé-rieur immédiat de Salaberry, également convoqué par le gouverneur. à vous voir vous agiter ainsi, je vais attraper le tournis.
â Savez-vous ce que nous veut Son Excellence?
â Je lâignore autant que vous, mon ami. Mais vous avez entendu parler du discours de Sir George, à la fin de février, prononcé pour lâouverture de la nouvelle session de la Chambre dâassemblée?
â Si je me rappelle bien, il souhaitait accroître la vigilance face à une invasion ou à des agressions insidieuses. En résumé, il demandait de se tenir prêt à faire la guerre.
â Selon moi, câest la raison pour laquelle nous nous morfondons ici, sur ces sièges
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