Julie et Salaberry
probablement très utile dans les jours qui viennent. Vous avez enfin atteint un grade qui vous permet de songer au mariage, et à votre âge, cet état vous procurera une stabilité que vous apprécierez à sa juste valeur. Et je ne parle pas de tous les autres agréments quâapporte la vie conjugale, ajouta-t-il avec un clin dâÅil entendu.
Salaberry nâeut pas la chance dâexprimer le fond de sa pensée au général, car Freer, engoncé dans la veste rouge de son uniforme, les invitait à entrer dans le cabinet où le gouverneur les attendait.
Des yeux bruns, avec une chevelure en bataille et un visage avenant encadré de longs favoris fournis, Prévost ne faisait pas ses quarante-cinq ans. Petit, mince et délicat, câétait un beau parleur qui pouvait rivaliser de galanterie avec nâimporte quel Français. Il sâexprimait aisément dans cette langue, sa famille étant dâorigine suisse, mais son père sâétait établi en Nouvelle-Angleterre où Prévost était venu au monde. Grâce à la fortune dâun grand-père banquier, il avait atteint les échelons supérieurs de lâarmée britannique et des états de service irréprochables lui avaient valu le titre de baronnet.
Prévost et Salaberry se connaissaient depuis des années. Et ils se détestaient. Le différend opposant les deux hommes remontait à lâépoque où Prévost nâétait que major et Salaberry, un jeune capitaine récemment promu qui avait réussi à recruter avec une facilité déconcertante plus de cent cinquante hommes pour son protecteur, le duc de Kent. Jaloux, Prévost avait manÅuvré pour nuire à Salaberry, mais il avait échoué. Aujourdâhui, Prévost occupait la haute fonction de gouverneur du Canada, mais sa vieille rancune était demeurée intacte. Malgré ce ressentiment qui subsistait, Rottenburg avait quand même insisté auprès du gouverneur pour que son aide de camp assiste à lâentretien, sûr que lâexpertise de ce dernier était nécessaire pour établir un plan de défense. Des jours difficiles sâannonçaient et le pays avait besoin dâun homme de la trempe de Salaberry.
«De plus, il est Canadien, avait insisté le général Rottenburg à Prévost, et sa famille jouit dâune grande notoriété au pays.»
Le gouverneur était visiblement de mauvaise humeur et ce nâétait pas la présence de Salaberry dans son cabinet de travail qui le troublait.
â Je viens de recevoir les dernières instructions de Londres. Figurez-vous, Rottenburg, quâen haut lieu, on refuse encore de croire à lâimminence dâune guerre en Amérique. Tout cela, par la faute de cet imbécile de Henry!
â Je ne comprends pas, fit le général avec un geste dédaigneux. Comment peut-on se fier à ce traître?
â Henry a été lâespion de mon prédécesseur, le gou-verneur Craig. Mécontent de son traitement, il est allé raconter au secrétaire dâÃtat américain que lâAngleterre rêvait de détruire les Ãtats-Unis. Imaginez la réaction des Yankees, surtout ceux qui sont déjà bien montés contre nous.
â Elle ne pouvait quâaccentuer le désir des va-t-en-guerre, assurément. Et comment Londres a réagi?
â Ãvidemment, on nâa rien trouvé de mieux que de clamer haut et fort notre grande indignation face à ces propos irresponsables. Nos diplomates ont affirmé au président américain, James Madison, ignorer totalement les agissements de cet individu qui colportait des faussetés. Lord Liverpool, le ministre des Finances, croit naïvement que ces protestations suffiront à calmer les Ãtats-Unis et à maintenir la paix.
â Câest la politique de lâautruche! Je comprends votre inquiétude, Sir, fit Rottenburg, stupéfié par lâaveuglement des autorités britanniques. Nous avons appris que dans nombre dâÃtats, et particulièrement ceux du Sud, ne retentit quâun seul cri: «Emparons-nous du Canada!»
â Pour ma part, ajouta gravement Prévost, je suis persuadé que le prochain acte du président Madison sera de soumettre au Congrès une déclaration de guerre au Canada.
â Je partage votre point de vue,
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