Julie et Salaberry
Depuis ton arrivée, tu sembles plus préoccupé quâà lâhabitude, dit-elle.
â Tâaurais-je déçue? demanda-t-il, craignant ne pas avoir su la combler durant les dernières heures qui venaient de sâécouler.
â Il ne sâagit pas de cela. Tu es encore trop jeune, trop vigoureux pour que les soucis qui tâaccablent influencent tes splendides capacités, répondit-elle avec une certaine langueur dans la voix. Je note simplement, en te voyant froncer les sourcils, que quelque chose te tourmente. Tu peux mâen parler. Rien de ce que tu me diras ne franchira cette alcôve.
Les yeux perdus dans une sorte de chose mousseuse, arachnéenne et absolument féminine qui servait de ciel de lit, mains croisées sous la tête et nu comme un ver, René se détendit. Un feu brûlait dans lââtre de la cheminée. Au mur, une Vénus voluptueuse se faisait enlacer par un Cupidon au regard tendre. La pièce était décorée avec un raffinement manifestement conçu pour abriter des ébats amoureux. Sa maîtresse se leva et René put de nouveau admirer son corps souple et épanoui avant quâelle enfile un ravissant déshabillé dont la fine toile de batiste laissait transparaître ses charmes, ne permettant pas à sa propriétaire de sâen revêtir ailleurs que dans la stricte intimité de sa chambre. Assise maintenant devant une coiffeuse, elle rassemblait ses cheveux en un chignon relâché en sâobservant dans un miroir de Venise au cadre de bois doré et sculpté, ses beaux bras relevés formant dâexquises courbes dans la lumière voilée des chandeliers.
â Si tu mâoffres un peu de ton excellent café, je te raconterai.
Dans le miroir, un sourire qui exprimait le contentement de prolonger leur rencontre lui répondit.
â Voilà une excellente idée. Jâen ai plus quâassez de boire cette insipide boisson quâest le thé â même lorsquâil sâagit des meilleurs thés indiens.
Pendant quâelle parlait, René sâétait enfin redressé pour passer sa chemise blanche et enfilait ses longs bas de laine quâil attacha avant de remettre sa culotte et ses bottes. Il reboutonna son gilet, mais laissa de côté sa redingote noire quâil enfilerait plus tard. Avec un peigne fin, quâil traînait toujours avec lui, il recoiffa soigneusement ses cheveux et annonça:
â Me voilà fin prêt, chère belle.
Madame de Beaumont appela son domestique qui revint bientôt avec le café.
â Viens, dit-elle en sâassoyant à une petite table près dâune fenêtre ornée de longs rideaux qui laissaient filtrer paresseusement la lumière du jour.
Elle lui désigna la chaise, en face dâelle, servit le café et lâécouta avec toute lâattention voulue. René entreprit de lui raconter les dernières péripéties qui agitaient Chambly, lui faisant part de ses inquiétudes au sujet de sa sÅur Emmélie. Madame de Beaumont avait été présentée un jour à Ovide de Rouville, un jeune homme superficiel et suffisamment outrecuidant pour quâelle ne désire pas en apprendre plus sur lui.
â Tu as sans doute raison de te méfier. Mais ne tâinquiète pas outre mesure, ta sÅur me semble pourvue de moyens pour se défendre et le remettre à sa place.
Mais comme elle ne connaissait pas la demoiselle en question et doutait de la rencontrer un jour dans sa lointaine campagne, elle nâeut pas dâautre commentaire. Elle contempla René, songeant quâil était un homme pour qui elle aurait peut-être entrouvert la porte de son cÅur, si elle ne craignait pas tant les meurtrissures de lâamour.
Lâespace dâun instant, Lisette se rappela lâexistence dâun autre homme de Chambly quâelle avait fréquenté autrefois: Alexandre Talham, qui lâavait quittée pour épouser une très jeune fille de son village. Elle soupira et revint à René qui sâapprêtait à lui dire adieu⦠jusquâà la prochaine fois.
Québec, 15 mars 1812
Mon cher fils,
Je viens de recevoir ta dernière lettre et je mâempresse de te répondre, car je veux aller porter sans tarder ce billet à la poste. Tu devras payer les frais, je mâen excuse, mais je ne
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