Julie et Salaberry
gouverneur vous accorde la permission de mettre sur pied vos Voltigeurs. Câest même un ordre. Vous voyez que votre patience envers Prévost a porté ses fruits.
â Ah! Sir, quelle bonne nouvelle, en effet, vous mâapprenez là ! déclara Salaberry. Et que dites-vous de ceci? demanda-t-il en exhibant un document de sa poche.
Rottenburg examina avec attention et satisfaction la description détaillée du futur régiment des Voltigeurs canadiens.
â Mon cher major, je vois que je nâai plus rien à vous apprendre, approuva le général. Vous êtes nés pour lâart militaire, vous autres, les Salaberry. Encore récemment, je nâai entendu que du bien de votre jeune frère, Ãdouard. Il serait avec lâarmée de Wellington?
â Il vient dâachever sa formation dâingénieur militaire, confirma Salaberry. La campagne dâEspagne sera pour lui une belle occasion de montrer ce quâil sait faire.
â Dure campagne que celle-là , fit Rottenburg en fronçant des sourcils.
La guerre ravageait le vieux continent. Les Britanniques se battaient en Espagne contre les Français, mais ces derniers tenaient toujours tête aux armées européennes qui cherchaient à abattre Napoléon, dont les visées expansionnistes semblaient démesurées. Au Portugal, lâarmée anglaise et ses alliés portugais luttaient férocement pour empêcher les armées napoléoniennes dâatteindre ce pays par la frontière hispano-portugaise. Les Britanniques tentaient dâentrer en Espagne. Lâobjectif était Badajoz, une forteresse frontalière occupée par les Français et quâon prétendait imprenable.
â On dit que Wellington manque dâeffectifs, commenta Rottenburg.
â Et si les Ãtats-Unis déclarent la guerre à lâAngleterre, au Canada, nous en manquerons encore plus.
â Dâoù lâimportance de vos Voltigeurs, Salaberry.
Leur conversation sâinterrompit: trois messieurs sâapprochaient de leur table, visiblement pour les saluer. Salaberry reconnut non sans irritation le notaire Boileau. Lâun de ses compagnons, un jeune homme pas très grand aux traits disgracieux, mais au regard vif et intelligent, lui sembla vaguement familier. Lâautre était un bel homme à la démarche assurée, vêtu avec une élégance recherchée. «Un authentique dandy», songea Salaberry.
â Ainsi, notaire, il vous arrive de quitter votre village? fit Salaberry. Mon général, permettez que je vous présente le notaire René Boileau, de Chambly. Comment se porte votre famille, monsieur Boileau?
â Fort bien, je vous remercie.
â Et la charmante cousine de mon aide de camp? demanda Rottenburg dâun ton espiègle avec un clin dâÅil à Salaberry. Les jeunes filles de Chambly sont des plus avenantes, mâassure-t-on.
â Mademoiselle de Rouville se portait à merveille aux dernières nouvelles, Sir.
â Vous lâavez vue récemment? demanda Salaberry, soudainement suspicieux.
â Pas dans les derniers jours, répondit simplement le notaire, puisque je suis à Montréal pour affaires depuis une semaine, déjà .
Salaberry sâirritait. Bêtement, le fait que Boileau donne des nouvelles de sa cousine lâexaspérait. Lorsquâil sâagissait de Julie, le notaire avait le don de réveiller chez lui un sentiment de jalousie inexpliquée.
à son tour, le notaire présenta ses compagnons:
â Mon vieil ami, confrère de collège et avocat de Montréal, monsieur Louis-Michel Viger, dit-il en désignant le dandy. Et ce monsieur est son cousin, Jacques Viger.
Ce dernier, visiblement heureux de rencontrer Salaberry, secouait déjà sa main.
â Major de Salaberry, câest un honneur et un vif plaisir de serrer la main de lâun des rares Canadiens à sâillustrer dans lâarmée britannique, dit Jacques Viger. Admirable, admirable, répétait-il avec ferveur.
â Vous mâen voyez ravi, monsieur Viger.
â Jâai bien connu votre père du temps que je vivais à Québec, il y a trois ans de cela. Jâétais alors rédacteur au journal Le Canadien .
â Mon père a en effet évoqué votre nom devant moi, fit Salaberry en se rappelant ses propos élogieux à propos du jeune
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