Julie et Salaberry
officielleâ¦
Il réfléchissait à voix haute, écrivant sans retenue, et sa plume rageuse consignait le fond de sa pensée dâun seul jet. Une fois terminée, la lettre ne fut ni relue ni recopiée. Salaberry la plia, puis la cacheta de noir, avant dâinscrire au dos: His Royal Highness Duke of Kent, Kensington palace . Puis, il ordonna à Antoine dâaller la porter immédiatement à lâétat-major, avec le courrier de lâarmée destiné à lâAngleterre.
Une fois cette tâche accomplie, Salaberry se trouva apaisé. La bouteille vidée, le silence sâinstalla dans le petit logement, à peine troublé par le retour du domestique qui vaquait à son ouvrage tout en jetant à lâoccasion un regard inquiet vers son maître.
Le visage de Salaberry exprimait maintenant une profonde perplexité: il réfléchissait. Au bout dâun interminable moment, il dit:
â Je me rends à tes arguments silencieux, Antoine. Il est inutile de pleurer sur mon sort. Crier ma peine comme un veau quâon égorge ne ramènera pas mes frères.
Il se leva brusquement. Antoine eut tout juste le temps de redresser la chaise qui menaçait de se renverser.
â Quâallez-vous faire, major?
â Agir! déclara-t-il rudement à son domestique, interloqué par cette curieuse déclaration.
Le lendemain, Salaberry semblait rasséréné. Après avoir griffonné un court billet destiné à avertir Rottenburg de son départ, il entreprit de commencer une lettre à son père quâil laissa à lâétat de brouillon, mais la glissa dans sa veste, se promettant de la finir à son retour.
â Antoine, ordonna-t-il, prépare mon bagage pour deux jours. Je retourne à Chambly.
â Mais, monsieur, protesta faiblement le domestique, jeâ¦
â Quây a-t-il? Tu es malade?
â Câest que⦠aujourdâhui, le cirque de monsieur Codet est en ville, expliqua-t-il en sortant dâun tiroir une affiche froissée, récupérée dans un cabaret. Il y aura les exploits équestres de cavaliers, un funambule et je ne sais combien dâautres merveilles. Rappelez-vous, major, vous mâaviez permis de mây rendre.
â Arrête de geindre. Rien ne tâempêchera dâaller à ton cirque. Je pars seul à Chambly et ce soir, je souperai en ville.
Après un regard reconnaissant à son maître qui semblait avoir retrouvé ses esprits, Antoine entreprit de brosser la veste de lâuniforme de Salaberry en sifflotant. Marion, la fille de la logeuse, lui avait laissé entendre quâelle se laisserait embrasser pendant le feu dâartifice, sâil payait son entrée.
16 . Premier régiment dâinfanterie, lâenseigne William Orrock devient lieutenant, remplaçant Salaberry, décédé.
17 . Pourquoi, nom de Dieu, se sont-ils retrouvés aux Indes?
18 . Son Altesse Royale le duc de Kent.
Chapitre 12
La demande en mariage
En cette fin dâhiver, le colonel sâennuyait ferme. Depuis une heure, en son for intérieur, se déroulait un terrible combat: résister farouchement à lâappel de la lecture, alors quâil devait de toute urgence vérifier les comptes de sa seigneurie et de ses fiefs de Pointe-Olivier, comme lâen avait pressé le notaire Boileau. à cette époque de lâannée, le blé avait été battu et vanné, et des sacs de grains prêts à moudre remplissaient les greniers, lui avait-il rappelé. Le moment était bien choisi pour réclamer aux retardataires leurs cens et rentes. Cette seule pensée rendait las monsieur de Rouville. Aussi, il soupira dâaise lorsquâon annonça le major de Salaberry.
â Ãa par exemple! Depuis le temps que jâespérais votre visite!
â Je vous dérange, colonel? fit lâofficier en tendant la main.
â Si vous me dérangez! Bien au contraire, jeune homme. Votre venue me réjouit! Mais assoyez-vous. Je vous sers un verre de rhum?
Salaberry refusa dâun geste. Pas de rhum aujourdâhui!
â Je préférerais un peu de thé pour me réchauffer, de crainte dâavoir attrapé froid dans cette exécrable voiture de poste!
Il souffrait parfois de rhumatisme â la vie militaire nâallait pas arranger ça â et craignait toute
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