Julie et Salaberry
de là avant les premières heures de la nuit. Mais dites-moi, monsieur de Salaberry, quel bon vent vous amène?
â Le vent, câest bien dit. Il aurait apporté des nouvelles de New York, mâa-t-on appris.
â Et encore, câest quasiment un miracle, affirma le commerçant. Nombre de bateaux partis dâAngleterre pour New York ne sont jamais arrivés à bon port. Des marchandises et du courrier égarés, perdus à jamais.
â Une situation qui perdurera, jâen ai bien peur, déplora Papineau.
â Qui ne sera réglée que par une guerre, vous voulez dire. Vous savez que mon fils, Salaberry, a reçu lâautorisation de mettre sur pied ses Voltigeurs?
â Jâai même ouï-dire que vos cousins Juchereau-Duchesnay recruteront facilement à Québec, ajouta monsieur Bruneau. Je pourrais nommer nombre de jeunes hommes prêts à sâengager. Mais⦠je vous connais, monsieur de Salaberry, et je parierais que vous veniez emprunter les derniers numéros de la London Gazette .
Lâair du gentilhomme indiquait que câétait ce quâil espérait.
â Je vous les prêterai volontiers, comme je le fais toujours, fit Bruneau, lâair désolé. Mais si vous pouviez attendre à demain, cher monsieur, cela mâaccommoderait de les lire ce soir. On y parle de nouveaux marchands londoniens avec qui jâaimerais peut-être faire des affaires.
Il était plein dâhésitations.
«Que signifie tout à coup ce ton faussement enjoué, cet air de faux jeton? se demanda sa femme. Et Papineau, qui ne sait plus sâil doit contempler le plafond ou le bout de ses bottes.»
â Monsieur Bruneau, je ne veux pas vous priver de votre lecture, répondit Louis, sans cacher sa déception. Lorsque vous en aurez terminé, faites-les porter chez moi.
Il étirait le temps, cherchait une raison de sâattarder, se disant que Bruneau finirait peut-être par le faire changer dâavis.
â Monsieur Papineau, pendant que jây songe, nâétiez-vous pas à Chambly en même temps que mon fils? Je lâai appris dans une lettre de mon cousin de Rouville.
Papineau raconta comment Salaberry les avait divertis au cours dâune petite réception donnée par mademoiselle Boileau.
â Depuis, notre pensionnaire reçoit du courrier de là -bas⦠Adressé par une main trop élégante pour ne pas être celle dâune demoiselle, révéla madame Bruneau.
Papineau rougit comme un collégien avant de déclarer:
â Mademoiselle Boileau, la sÅur du notaire, une jeune fille remarquable.
Monsieur et madame Bruneau sâentre-regardèrent. Voilà qui confirmait leurs soupçons. Papineau avait fait de cette demoiselle de Chambly sa dulcinée. Grande déception, surtout quâils caressaient depuis quelque temps lâidée de voir leur fille épouser un jour lâambitieux député.
â Ah! Chambly. Joli coin de pays, propice aux amours, lança comme une boutade monsieur de Salaberry.
Dans son cas, il espérait surtout quâune autre fille de Chambly, Julie de Rouville, réussisse à faire une autre belle conquête. Puis, voyant que personne ne se rendait à ses désirs, le gentilhomme décida de partir.
â Mon cher Bruneau, jâai eu grand plaisir à converser avec vous.
Papineau sâavança, comme mu par une inspiration soudaine.
â Monsieur de Salaberry, si vous le permettez, jâai des fourmis dans les jambes et grand besoin de me dégourdir. Je serais heureux de vous raccompagner jusquâà votre maison.
Louis de Salaberry accepta volontiers, ravi dâavoir si bonne compagnie. Papineau lui donnerait le bras pour remonter lâabrupte côte de la Montagne, la plus dangereuse de Québec. Il en profiterait pour questionner habilement le député quâil trouvait beaucoup trop admiratif de Pierre-Stanislas Bédard, le chef du Parti canadien. Ce dernier noircissait le parti des Anglais de la pire manière, et Dieu seul savait combien dâautres balivernes Bédard pouvait proférer devant Papineau, jeune homme intelligent, mais encore influençable. En chemin, Louis se promit de faire lâéloge de son royal ami, le duc de Kent, grand protecteur des Canadiens.
â Je vous assure, monsieur de Salaberry, que je suis un admirateur des
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