Julie et Salaberry
institutions anglaises, insistait Papineau en réponse aux conseils du noble personnage.
Ils arrivèrent devant la maison des Salaberry, rue Sainte-Anne, et Louis lâinvita à entrer un moment, invitation que le député sâempressa dâaccepter. Sinon, Papineau lâaurait sollicité, se doutant fortement de ce qui attendait monsieur de Salaberry.
Il ne fut pas surpris de trouver un officier en tunique rouge qui faisait le pied de grue dans un petit boudoir. Le pauvre diable avait pour pénible mission de remettre en mains propres un pli bordé de noir: une lettre du gouverneur Prévost communiquant une funeste nouvelle au père de famille.
Une appréhension douloureuse envahit ce dernier. Des scénarios insensés lui vinrent à lâesprit: Ãdouard, blessé à mort dans une embuscade, ou François, noyé, le navire qui le ramenait à la maison ayant fait naufrage. La missive ne pouvait concerner que ses fils cadets puisque Salaberry était au pays, bien à lâabri à Montréal, à une courte distance du cocon familial. Louis se tourna vers Papineau avec une interrogation terrifiée dans le regard.
Qui? demandaient ces yeux affolés.
La canne-gourdin tomba brutalement sur le sol. Lâattitude bizarre de Bruneau, et Papineau qui avait tenu à lâaccompagner; ils connaissaient le contenu de cette lettre!
â Les nouvelles de Londres, murmura Louis, le visage défait. Ainsi, vous saviez, misérable, et vous vous taisiez!
Câétait vrai. Lâannonce dâune autre mort chez les Salaberry avait couru dans les couloirs du palais épiscopal où se tenaient les séances de la Chambre dâassemblée. En redescendant la côte de la Montagne, les deux parlementaires plaignaient de tout cÅur la famille éprouvée. Quelle stupeur, en arrivant chez les Bruneau, dây découvrir monsieur de Salaberry! à Québec, tout le monde compatissait avec cette famille. Et tous ressentiraient lâannonce dâune nouvelle disparition comme une immense tragédie.
La colère et le chagrin décuplant ses forces, Louis agrippa le manteau du député à deux mains et souleva le pauvre Papineau qui commençait à avoir peur.
â Lequel? hurla le père en le secouant. Dites-moi lequel de mes fils est mort?
Il finit par relâcher sa victime, foudroyé par une douleur extrême.
â Il sâagit de Chevalier, monsieur, fit Papineau, soulagé de sentir à nouveau le sol sous ses pieds. Je vous exprime mes plus sincères condoléances.
â Vos condoléances! Mais je nâai que faire de vos condoléances! Que vais-je pouvoir dire à sa mère? Cette nouvelle la tuera. Et ses pauvres sÅurs! Ah! François, mon cher petit, mon cher petitâ¦
Cette voix brisée était insupportable. Puis, Louis de Salaberry sâécroula. Il se mit à sangloter comme un enfant. Papineau se précipita pour empêcher lâhercule de sâeffondrer sur le plancher de bois que des bottes boueuses avaient sali. Il appela à lâaide, confondu par cette peine sans nom. Avec le domestique, il guida monsieur de Salaberry et voulut lâallonger sur un sofa afin de lui faire respirer des sels dâammoniac.
Mais Louis se débattait farouchement. Et le pire arriva lorsque Catherine et ses filles rentrèrent de leurs visites. à peine eurent-elles franchi le seuil de leur demeure que Catherine vit lâétat misérable de son mari; elle comprit immédiatement quâun nouveau malheur lâattendait. Louis murmura «François» et la pauvre mère perdit connaissance entre les bras de ses filles qui nâavaient pas eu le temps de retirer manteaux et chapeaux.
Impuissant à consoler cette famille éplorée, Papineau seconda du mieux quâil put les jeunes filles obligées de soulager leurs parents malgré leur immense chagrin. Le député fit mander un médecin de toute urgence, lâétat de madame de Salaberry inspirant les pires craintes.
Une simple phrase, écrite plusieurs mois auparavant dans le numéro du 23 novembre 1811 de la London Gazette , banale et froide, possédait le terrible pouvoir dâanéantir toute une famille: 1 st Regiment of Foot, Ensign Willam Orrock to be Lieutenant, vice De Salaberry, deceased 16 . Profondément secoué, Papineau quitta la maison endeuillée
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