Julie et Salaberry
préparer une chambre.
Salaberry quitta son poste dâobservation.
â Je vous remercie, mais Vincelet est plus approprié dans les circonstances. Je nâai pas encore décidé si je retournais à Montréal ce soir ou demain.
â Alors, arrêtons de tourner autour du pot. Je fais mander Julie?
De retour dans sa bibliothèque avec le même sourire quâun général devant la victoire, monsieur de Rouville fut incapable de se remettre à ses comptes.
On les avait laissés seuls dans le petit boudoir du rez-de-chaussée. En dehors de sa propre chambre, Julie aimait se réfugier dans lâintimité de cette pièce dont lâun des murs était couvert dâune vieille tapisserie poussiéreuse que madame de Rouville songeait à remplacer. Il nây manquait quâun instrument de musique comme un petit clavecin ou un piano-forte. Elle avait appris la musique au couvent et aurait volontiers joué dâun instrument pour se distraire. Mais les Rouville croyaient quâil y avait à Chambly un nombre suffisant de musiciennes pour martyriser les oreilles de la société et Julie sâétait vu refuser ce plaisir.
Assise sur le rebord dâun sofa aux motifs fleuris, elle servait le thé. Salaberry avait pris place dans lâun des deux grands fauteuils dâacajou recouverts de crin noir.
Salaberry appréciait cette modestie touchante de demoiselle de bonne famille qui lui allait si bien. Il lâobservait comme sâil la voyait pour la première fois. Elle possédait un visage agréable, quoiquâun peu anguleux, offrant un profil gracieux avec son nez droit. Le front était charmant, à peine légèrement bombé. Un air aimable, agrémenté par des yeux doux et une fine silhouette⦠Comme elle était différente de celles quâil avait jadis connues! Il la désirait, il la voulait pour lui seul. Elle représentait une oasis de sérénité et lui, qui avait si longtemps bourlingué, pourrait enfin se reposer auprès dâelle.
Julie sâattendait-elle à une demande en mariage? Dans ses lettres, il avait cru lire entre les lignes que lâamour nâétait pas loin. Soudain, un étau resserra son estomac et il eut peur de perdre ses moyens.
Le visage de Julie était devenu triste, car il venait de lui apprendre la disparition de son frère. Elle lui avait offert ses condoléances.
â Votre frère, Charles, câest si cruel, compatit-elle tout en lui tendant une tasse de porcelaine chinoise.
â Seriez-vous surprise si je vous disais que jâai ressenti fortement un grand besoin de venir vous voir?
â Oh! laissa-t-elle échapper, désarmée par cette déclaration. Votre confiance me touche. Vous prenez du sucre et du lait, nâest-ce pas?
â Yes, thank you . Vous vous rappelez comment je prends mon thé?
Elle avait toujours de ces délicates attentions pour les autres. Il remua la boisson chaude en silence et Julie omit de sucrer son propre thé. Curieusement, elle ne fut pas incommodée par lâamertume. En fait, elle ne goûtait rien. La présence inopinée de Charles lui causait un plus grand plaisir quâelle ne lâaurait admis.
â Je vous ai vu arriver par le vieux chemin, remarqua Julie, pour dire quelque chose.
Elle faisait allusion à lâancien chemin, appelé aussi «chemin dâen bas», qui longeait les rapides en passant derrière le manoir. Salaberry acquiesça.
â Cet endroit est particulier, dit-il, en évoquant les remous. On le croirait indomptable, mais il est plein de charme.
â Câest vrai, approuva-t-elle. Lâété, jâaime à me promener de ce côté. Je suis heureuse que Chambly vous plaise, Charles, et je souhaite que vous y reveniez plus souvent. Pour ma part, je ne me vois pas vivre ailleurs.
Ses phrases sâenfilaient les unes derrière les autres.
«Mon Dieu! supplia-t-elle intérieurement. Faites que je trouve quelque chose de spirituel ou dâintelligent à dire.»
Elle contempla les tasses vides sur le plateau.
â Je crois que mes parents viendront nous rejoindre.
â Vous craignez dâêtre seule avec moi?
â Non! protesta-t-elle vivement, avec un sourire gêné. Mais⦠les convenances, vous comprenez. Jâimagine quâils ne vont pas tarder,
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