Kenilworth
quelques monosyllabes sans ordre et sans suite ; douces et tendres expressions que l’amour inspire aux cœurs qu’il a émus.
Leicester se croyait en droit de se plaindre d’une femme qui, en violant ses ordres, l’avait exposé au péril où il s’était trouvé ce matin. Mais quel ressentiment n’eût pas cédé aux témoignages d’amour que lui donnait une créature si aimable ! Le désordre de ses vêtemens et ce mélange de crainte et de douleur qui eût flétri la beauté d’une autre ne servaient qu’à rendre Amy plus intéressante. Leicester reçut ses caresses, et les lui rendit avec une tendresse mêlée de mélancolie. Amy s’en aperçut après les premiers transports de sa joie, et lui demanda avec inquiétude s’il était malade.
– Je ne suis point malade de corps, Amy, répondit-il.
– Alors, je me porterai bien aussi. Ô Dudley ! j’ai été mal, bien mal depuis notre dernière entrevue ; car je n’appelle pas t’avoir vu que d’avoir figuré dans l’horrible scène de ce matin. J’ai éprouvé des maladies, des chagrins, des périls ; mais je te revois, et je me trouve heureuse et tranquille.
– Hélas ! Amy, dit Leicester, tu m’as perdu.
– Moi, milord ! dit Amy : et déjà le rayon de joie qui avait brillé dans ses yeux s’était évanoui. Comment aurais-je pu nuire à celui que j’aime plus que moi-même ?
– Je ne veux pas vous faire des reproches, Amy ; mais n’êtes-vous pas ici contre mes ordres les plus formels, et votre présence ne nous met-elle pas, vous et moi, en péril ?
– Serait-il vrai ? s’écria-t-elle avec douleur ; oh ! pourquoi y resterais-je plus long-temps ? Ah ! si vous saviez quelles sont les craintes qui m’ont obligée à fuir de Cumnor-Place ! Mais je ne veux point ici parler de moi-même. Seulement, tant qu’il y aura un autre parti à prendre, je n’y retournerai jamais de plein gré. Cependant si votre salut l’exige…
– Nous choisirons, Amy, quelque autre retraite, dit Leicester, et vous irez dans un de mes châteaux du nord, seulement pour quelques jours, à ce que j’espère, avec le titre d’épouse de Varney.
– Quoi ! milord, dit la comtesse en se dérobant à ses embrassemens, c’est à votre épouse que vous donnez le honteux conseil de s’avouer l’épouse d’un autre ! et cet autre, c’est Varney !
– Madame, je parle très sérieusement. Varney est un loyal, un fidèle serviteur, admis à partager tous mes secrets ; j’aimerais mieux perdre ma main, droite que ses services en cette occasion ; vous n’avez aucun motif pour le mépriser comme vous le faites.
– Je pourrais bien le confondre, répondit la comtesse ; et déjà même mon regard le fait trembler malgré son assurance. Mais celui qui vous est aussi nécessaire que votre main droite ne sera point accusé par moi ; puisse-t-il vous être toujours fidèle ! mais pour qu’il le soit, gardez-vous de vous fier trop à lui. C’est vous dire assez que je ne le suivrai que par force, et que jamais je ne le reconnaîtrai pour mon époux.
– Mais ce n’est qu’un déguisement momentané, madame, dit Leicester irrité de cette opposition ; un déguisement nécessaire à votre sûreté et à la mienne, compromise par vos caprices et par le désir empressé de vous mettre en possession du rang auquel je vous ai donné droit sous la condition que notre mariage resterait secret pendant quelque temps. Si ma proposition vous déplaît, rappelez-vous que c’est vous-même qui l’avez rendue nécessaire ; il n’y a plus d’autre remède. Il faut faire maintenant ce que votre imprudente folie a rendu indispensable. Je vous l’ordonne.
– Je ne puis mettre vos ordres, dit Amy, en balance avec ceux de l’honneur et de la conscience. Non ! milord, je ne vous obéirai pas en cette occasion ; vous pouvez perdre votre honneur par cette politique tortueuse ; mais jamais je ne ferai rien qui puisse détruire le mien. Comment pourriez-vous, milord, reconnaître en moi une épouse chaste et pure, digne de partager votre rang, lorsque, répudiant ce noble caractère, j’aurai parcouru l’Angleterre comme la femme d’un homme aussi abominable que votre Varney ?
– Milord, dit alors Varney, milady est malheureusement trop prévenue contre moi pour prêter l’oreille aux offres que je ferai. Cependant elles lui seraient peut-être plus agréables que le parti qu’elle propose. Elle a du crédit sur
Weitere Kostenlose Bücher