Kenilworth
d’importance ; il est donc indispensable de donner quelque raison extraordinaire pour justifier la rapidité et le secret de notre voyage.
À mesure qu’ils approchaient de Londres, l’affluence des étrangers devenant plus grande, leur présence ne provoqua plus ni curiosité ni questions ; enfin ils entrèrent dans cette ville.
Tressilian avait dessein de se rendre sur-le-champ à Say’s-Court, près de Deptford, ou lord Sussex résidait alors, afin de se trouver plus près de Greenwich, séjour favori d’Élisabeth, et où était née cette princesse. Il était pourtant nécessaire de faire une courte halte à Londres, et elle fut prolongée par les instances que fit Wayland pour qu’il lui fût permis de faire une course dans la Cité.
– Prends donc ton épée et ton écu, lui dit Tressilian, et suis-moi. J’ai dessein moi-même de me promener, et nous irons ensemble.
Il avait un motif secret pour agir ainsi. Il n’était pas encore assez sûr de la fidélité de son nouveau serviteur pour le perdre de vue dans un moment où deux factions rivales étaient en présence à la cour d’Élisabeth. Wayland consentit à cet arrangement, mais il stipula qu’il lui serait permis d’entrer dans telle boutique de droguiste ou d’apothicaire qu’il jugerait à propos, et d’y acheter des drogues dont il avait besoin. Tressilian ne lui fit aucune objection ; et, en parcourant les rues de la Cité, ils entrèrent successivement dans quatre ou cinq boutiques, dans chacune desquelles Tressilian remarqua que son compagnon ne prit qu’une seule drogue en diverses doses. Celles qu’il demanda d’abord se trouvèrent aisément, mais il eut plus de difficulté à se procurer les autres. Ce ne fut pas sans surprise que Tressilian le vit plusieurs fois refuser la drogue ou la plante qu’on lui offrait, et l’aller chercher ailleurs s’il n’était pas servi selon son désir. Il y eut pourtant une drogue qu’il parut presque impossible de trouver. Ici on ne la connaissait pas ; là on prétendait qu’elle n’existait que dans le cerveau dérangé de quelques alchimistes ; ailleurs on offrait d’y substituer quelque autre ingrédient qui, disait-on, avait la même vertu, et dans un degré supérieur ; presque partout on montrait un certain degré de curiosité sur l’usage qu’il en voulait faire. Enfin un vieil apothicaire lui répondit franchement qu’il chercherait inutilement cette drogue dans tout Londres, à moins qu’il n’en trouvât par hasard chez le juif Yoglan.
– Je m’en doutais, dit Wayland à Tressilian en sortant de cette boutique. Je vous demande pardon, monsieur, mais le meilleur ouvrier ne peut travailler sans outils. Il faut que j’aille chez ce juif, et si cette course retarde votre départ de quelques instans, vous en serez bien dédommagé par l’usage que je ferai de cette drogue rare et précieuse. Mais permettez-moi de marcher devant vous, car nous allons quitter la grande rue, et nous irons plus vite si je vous montre le chemin.
Tressilian y consentit, et suivit son guide, qui prouva qu’il connaissait parfaitement ce quartier de la Cité, en le conduisant à grands pas et sans hésiter à travers un véritable labyrinthe de petites rues, d’allées et de passages. Enfin il s’arrêta au milieu d’une rue étroite, au bout de laquelle on apercevait la Tamise, et les mâts de deux bâtimens qui attendaient la marée pour partir. La boutique où ils s’arrêtèrent n’était pas fermée par des croisées vitrées comme celles de nos jours ; elle était protégée par une espèce d’auvent en grosse toile, et le devant en était entièrement ouvert, comme le sont encore aujourd’hui celles des marchands de poissons. Un petit vieillard dont l’extérieur n’annonçait pas un juif, car il avait les cheveux blonds et le menton rasé, se présenta à eux, et leur demanda ce dont ils avaient besoin. Wayland ne lui eut pas plus tôt nommé la drogue qu’il cherchait, que le juif fit un mouvement de surprise.
– Et quel besoin, mon Dieu ! peut avoir Votre Honneur d’une drogue que personne ne m’a encore demandée depuis quarante ans que je suis apothicaire dans cette rue ? répondit le juif dans son jargon.
– Je n’ai pas à répondre à ces questions, dit Wayland ; je désire seulement savoir si vous avez la drogue que je tous demande, et si vous voulez m’en vendre.
– Si j’ai cette drogue, Dieu de Moïse ! oui, sans doute, je l’ai.
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