Khadija
la perfidie d'Al Çakhr ? Où puiser la force ?
À Abu Talib, accouru, elle se contenta de montrer sa chevelure. Depuis la mort d'Al Qasim, la racine de ses cheveux était devenue grise.
— Voilà ce que je deviens : une vieille mule qui ne sait plus porter sa charge. Abu Sofyan nous insulte et je ne sais plus défendre mon époux.
— Tu te trompes, Khadija. Mon neveu n'a besoin de personne pour le défendre contre les Al Çakhr et leurs alliés. Au contraire, c'est lui qui te défendra quand il le faudra, comme un époux doit défendre son épouse. Sans toi, Muhammad ibn `Abdallâh ne serait jamais devenu celui qui relève les murs de la Ka'bâ. Aujourd'hui, tu dois apprendre à appuyer ta douleur sur son bras.
Khadija n'aima pas les paroles du vieil Abu Talib. Que savait-il, lui, l'égoïste, de ce qui va entre des époux si longtemps demeurés comme des amants de la première nuit ? Pourtant, elle dut reconnaître qu'il avait en partie raison.
Les paroles sournoises d'Abu Sofyan ne détournèrent en rien les travaux de la Ka'bâ. Quand ses murs furent à nouveau dressés et le toit construit, des centaines de fidèles, de Mekka comme les pèlerins des clans éparpillés dans le Hedjaz, vinrent remercier Muhammad avec un respect qu'ils ne manifestèrent à personne d'autre.
Un soir, exultant et radieux, Zayd annonça à Khadija :
— Les gens l'appellent « Muhammad al Amin », « Muhammad l'homme sûr ». Ils lui donnent des offrandes pour votre défunt fils. Ce matin, après le conseil des puissants, le jeune seigneur Othmân ibn Affân est venu devant ton époux et a dit : « Donne-moi ta fille Ruqyya en mariage, puissant Muhammad, et je serai pour toi comme un fils. Ruqyya est la plus belle des filles de Mekka. Elle tient tout de toi. »
La surprise redressa Khadija et redonna vie à son regard.
— Othmân, de la maisonnée des Omayya ! s'exclama-t-elle, incrédule.
— Oui, oui, lui-même. Le riche Othmân, s'autorisa à préciser Zayd.
Othmân n'était pas seulement riche. Il appartenait à un clan influent et qui, jusqu'à ce jour, avait toujours suivi Abu Sofyan.
— Qu'a répondu mon époux ?
— Il a dit : « Ma bouche est encore pleine de la terre où j'ai déposé mon unique fils. Il est bien trop tôt pour que je songe aux époux de ma fille Ruqyya. Si tu la trouves toujours aussi belle dans un an, reviens me voir. »
Cette nuit-là, comme toutes les autres nuits dans sa couche solitaire, Khadija garda longtemps les yeux ouverts. Contre toute attente, des larmes les mouillèrent.
Le lendemain, Muhammad s'assit devant elle sous le tamaris. Ils s'observèrent. Khadija devinait ce que son époux voyait d'elle : le gris de ses cheveux, les cernes de ses yeux manquant de sommeil, les rides qui partout griffaient son visage. Tandis que lui, elle le voyait plus mince et plus ferme que jamais. Un bref instant, elle songea qu'il possédait désormais l'allure d'un étranger. Mais tout s'effaça quand, brusquement, Muhammad avança les mains pour prendre les siennes. Elle frissonnea comme au jour presque oublié où il lui avait fait boire du lait sucré sous ce même tamaris.
Il sourit.
— Tu m'as donné un fils magnifique et il est toujours en moi. Pourquoi l'a-t-on repris, je ne sais pas. Toi non plus. Si tu crois que c'est ta faute, tu te trompes. Tu peux beaucoup, mais ça, tu ne le peux pas.
Comme dans la nuit, les larmes montèrent aux yeux de Khadija. De vraies larmes.
Muhammad se tut. Ils restèrent un moment ainsi, face à face, leurs mains entrelacées. Ils renouaient tout doucement ce qu'il se pouvait des liens qui les avaient séparés depuis la mort d'Al Qasim.
Enfin Muhammad annonça :
— Demain, je conduis une caravane aux pays de Sham et de Ghassan avec Abu Bakr. Ne te fais pas de mauvaise idée sur ce départ. Je pars avec tout l'amour de toi pour mes jours et mes nuits, et je reviendrai avec.
La folie d'Ashemou
Comme à l'accoutumée, une foule, nombreuse, vint saluer le départ de la caravane. Khadija fut soulagée de voir son époux entouré de ses fidèles compagnons de voyage, Abu Bakr, le grand Bilâl et Zayd. Mais à peine était-elle chez elle qu'elle reçut la visite de sa cousine.
— Ashemou se meurt et tu l'ignores toujours, lança d'emblée Muhavija sur un ton de reproche.
C'était vrai. Ashemou refusait de manger depuis presque une lune et ne buvait que sous la contrainte. Depuis que le sang d'Al Qasim avait inondé sa
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