Khadija
profonde pour servir de cachette. Muhammad s'y recroquevilla, le cœur battant la chamade, le sabre prêt à frapper.
Ce ne fut pas long. Déjà, les pas furtifs glissaient sur le chemin. Une silhouette blanche apparut. Muhammad bondit. Il enserra la poitrine de son poursuivant tandis que sa lame se posait sur la gorge inconnue, étouffant le cri de terreur qui y montait. Le corps qu'il enlaçait était si fin, si léger, que l'élan de Muhammad faillit les emporter dans le vide. D'un coup de rein, il renversa son poursuivant. La nimcha cogna la roche, sonore comme une cloche. Muhammad plaqua l'assaillant sur le sol. La tunique, la chevelure longue étaient celles d'un fils d'El Kessaï.
— Qui es-tu ?
— Je ne te veux pas de mal !
— Réponds : qui es-tu ?
— Zayd ibn Hârita al Kalb. Ne me tue pas !
Ses cheveux, épais, cachaient son visage. Sa voix était jeune. Très jeune. Il parlait l'arabe du Nord. Muhammad empoigna sa tignasse et la tira sans ménagement. L'autre lâcha un cri de douleur. Le visage était celui d'un adolescent, les joues maigres, les yeux écarquillés d'effroi. Le tranchant de la nimcha pesait toujours sur sa gorge. Des larmes brillèrent dans ses yeux. Il gémit :
— Ne me tue pas, je ne te veux pas de mal !
— Alors que me veux-tu, Zayd idn Hârita al Kalb ?
— Partir. Partir avec toi.
Une supplique terrifiée traversa le regard du garçon. Comme Muhammad se contentait de froncer les sourcils, il déglutit et marmonna :
— Je ne suis pas comme eux. Je suis du pays de Kalb.
Muhammad écarta son sabre, puis son genou. De toute évidence, le garçon était sans arme et sans grande force, bien trop mal nourri pour être dangereux. Debout, Muhammad rengaina sa lame. En contrebas, la lune apparaissait dans le merveilleux disque d'eau, parfaitement immobile, grossie comme par un effet de magie, si proche qu'il semblait qu'on pût la toucher, tandis que là-bas, à l'est, le ciel se gorgeait d'un lait puisé dans le jour nouveau.
Palpant la chair que le tranchant du sabre avait entaillée sur sa gorge, le garçon se recula au bord de la falaise. Ce n'était qu'une simple éraflure, pourtant la panique le laissait tremblant. Il enserra ses jambes de ses bras maigrichons, osant à peine lever les yeux. Il ne devait pas avoir quinze ans.
— Pourquoi veux-tu quitter les fils d'El Kessaï ? interrogea brutalement Muhammad. Ce n'est pas assez beau pour toi, ici ? Tu n'es pas bien avec eux ?
Malgré sa peur, le garçon s'obligea à affronter l'air suspicieux de Muhammad.
— Ils sont fous, dit-il.
— Qui ça ?
— Za Whaad. Son père, ses frères, ses fils... Tous les autres. Ils sont fous.
— Pourquoi ?
Zayd désigna le disque d'eau dans le cratère de sable. Avec la pâleur qui montait dans le ciel, la surface en devenait bleutée, étrangement éthérée.
— Ils croient que leur dieu va venir les chercher dans l'eau. Qu'il va les emporter tout droit au paradis.
Muhammad allait poser une nouvelle question, quand un braillement à peine humain résonna dans la faille, multiplié par l'écho. Muhammad leva la tête vers le haut du chemin, sans rien discerner. En bas, les serviteurs rejetaient leur couverture et bondissaient sur leurs pieds. La portière de la tente des femmes s'ouvrit. Muhammad s'élança vers la crête de roche, hurlant le nom de Bilâl.
C'était bien lui, le grand Bilâl, qui venait de crier ainsi. Et l'accueillait en haut du chemin avec un nouveau hullulement de joie, fier de la surprise qu'il créait.
— Comment nous avez-vous retrouvé ? s'exclama Muhammad.
— Hier soir, j'ai vu la direction que prenait la caravane, Petit Maître Muhammad. J'ai compris. Au dernier voyage que nous avons fait sur cette piste de Tabouk, le guide Zimba m'a parlé des gens qui vivent là-dessous. Il m'a montré un repère pour se diriger : « Bilâl, tu dois te cacher, tu vas là-bas. Personne ne te retrouvera jamais. »
— Et Yâkût ?
Bilâl désigna la caravane. Les bêtes s'ébrouaient avec l'aube. À l'arrière, Muhammad devina les méharis de Yâkût et de ses mercenaires.
— Il s'occupe de soigner ses bêtes. Elles en ont besoin. Deux de blessées et une morte. Et toutes tes chamelles, Petit Maître. Celles qui étaient encore vivantes, le seigneur Yâkût les a fait abattre.
— Les hommes ?
— Deux morts. Beaucoup moins que chez les mauvais. Et surtout...
Bilâl se tut brusquement, désigna la nimcha que
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