Khadija
lourd vêtement.
— Qu'Al'lat me vienne en aide ! J'ai cru que tu n'allais jamais sortir de ta tente ! Pourquoi as-tu attendu si longtemps ?
Leurs impatiences affamées, déchaînées, ils livrèrent alors une bataille de souffles, de lèvres, de doigts, soulevant, repoussant les tissus pour trouver leurs peaux nues et ardentes. Cinq nuits déjà que le plaisir les emportait. Chaque fois la même avidité les dévorait. Et tous deux avaient appris à jouer avec le corps désiré jusqu'à l'embrasement.
Dans un marmonnement entrecoupé de plaintes joyeuses, elle raconta :
— Comme tu ne quittais pas ta tente, j'ai pensé que tu étais avec une des femmes en blanc. Il paraît qu'elles t'ont mis nu et lavé. Et tu es resté sans réagir ?
Ils éclatèrent à nouveau d'un rire complice.
— Il y en a d'autres qui auraient bien voulu te laver, reprit Lâhla. J'ai dû me battre avec les filles ! Elles voulaient toutes être avec toi, ce soir ! Même la vieille Habîba. Elle serait à ma place si je l'avais laissée faire. Tu nous as sauvées, grand Muhammad ! Le maître des vieilles chamelles ! Qu'Al'lat te fasse roi au paradis. Sans toi, on serait mortes. Ou entre les mains des mauvais ! Toutes, elles veulent te prouver leur reconnaissance. J'ai dit non. J'ai dit qu'elles auraient tout le temps plus tard. À Tabouk, au pays de Sham. J'ai dit : « Ce soir, après une bataille pareille, il sera fatigué. Une seule femme lui suffira. Moi. »
Lâhla redressa son buste de jeune fauve et, dans un marmonnement plaintif, elle s'enquit :
— Es-tu fatigué, Muhammad ibn `Abdallâh ?
Il restait à peine une heure avant le jour quand Muhammad s'éveilla. Seul au milieu des troncs, enroulé dans son large manteau. Ne sachant, durant un bref instant, où il se trouvait. Puis il se rappela. Le parfum de Lâhla. Ses caresses, ses baisers. Ses grondements de bonheur.
Ensuite, son sommeil avait été si profond qu'il n'avait pas eu conscience qu'elle s'écartait de lui pour rejoindre la tente des femmes. Pas même qu'elle l'avait emmailloté dans sa cape comme un enfant. Muhammad s'en dégagea avec un sourire.
La beauté et la tendresse de Lâhla bint Salîh. Une femme d'une condition égale à la sienne. Une fille de pauvre. Servante et cousine lointaine d'Abu Nurbel.
Muhammad revit les grimaces et les allusions du vieux marchand. D'une manière ou d'une autre, il savait. Nul doute qu'il en ferait des gorges chaudes à leur retour à Mekka. Mais le retour à Mekka, désormais, qui pourrait dire à quoi il ressemblerait ?
Ces pensées le tirèrent pour de bon hors du sommeil. Le ciel était toujours noyé d'étoiles qui, lentement, glissaient vers l'est. Le jour n'allait plus tarder. Les ombres se creusaient avec la même intensité qu'en plein jour, pourtant il était encore temps d'admirer le disque d'eau sous le ciel nocturne.
Il se leva, le corps engourdi, un peu douloureux de la violence du plaisir puisé dans celui de Lâhla. Sans bruit, il retraversa les petits jardins et se dirigea vers le sentier taillé dans la falaise.
Il était déjà bien engagé dans la pente quand il eut la sensation d'être suivi. Il se retourna et scruta le noir. Le long de la falaise, à l'abri de la lune, les ténèbres étaient encore denses. On n'y discernait à peine le chemin. Et nulle présence.
Il se remit en marche, l'oreille aux aguets, les doigts crispés sur la poignée de sa nimcha. Qui le suivait ? Certainement pas une femme. Lâhla y veillerait. Ni un serviteur, trop occupé à dormir. Les fils d'El Kessaï semblaient loin de toute curiosité ou de tout désir de vol. Se serait-il passé quelque chose, là-haut, près de la caravane ?
Muhammad pressa le pas. Le cratère de sable apparut sur sa gauche. Le disque d'eau reflétait si parfaitement le ciel qu'on eût pu croire qu'un pan de la nuit était tombé là, sur terre. Subjugué, Muhammad s'immobilisa quelques secondes pour admirer cette splendeur.
Un nouveau bruit résonna derrière lui. Faible, tout juste audible. Des pierres, peut-être, s'entrechoquant sous une semelle légère. Tout près. Quinze ou vingt pas au plus.
Muhammad reprit sa marche silencieuse, se pressant maintenant vers le sommet. Le vide, sur la gauche du sentier, était impressionnant. Se battre ici, c'était l'assurance de basculer au bas de la falaise.
Alors que la crête s'annonçait, un pan de roche grumeleuse, à sa droite, dessina un pli, une anfractuosité assez
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