Khadija
braises, le visage d'un serviteur se releva. Muhammad fit un signe de la main. Le visage disparut sous la couverture. Leur camp avait été réduit au plus simple. Une tente pour les femmes, une tente pour Abu Nurbel, Al Sa'ib et lui-même. Les serviteurs dormaient à la belle étoile. Là-haut, sur le bord de la faille, d'autres serviteurs se relayaient pour garder les bêtes.
Al Sa'ib et Abu Nurbel avaient longuement palabré sur l'utilité d'entretenir un feu près de la caravane. Dans l'immensité plate du hara, les flammes ne manqueraient pas de se voir de loin. Yâkût et ses guerriers pourraient s'y repérer, insistait Al Sa'ib. Et aussi tous les mauvais, les démons grands et minuscules qui rôdaient dans le Hedjaz, répliquait Abu Nurbel. Et peut-être Yâkût craindrait-il ce feu et ne voudrait-il pas s'en approcher ?
Muhammad ne s'était pas mêlé à la dispute. Que lui importait que le mercenaire passe la nuit sur la caillasse et s'y brise le dos le temps d'une nuit sans sommeil ? Il n'était pas pressé de l'entendre vociférer pour faire oublier que les vieilles chamelles avaient sauvé la caravane. Une vérité que le seigneur des armes Yâkût al Makhr aurait du mal à reconnaître. Muhammad espérait seulement que le grand Bilâl était sain et sauf au milieu de ces hommes d'orgueil et de préjugés.
Ici, en bas, derrière les tentes, la lueur argentée de l'infini était suffisante pour que l'on pût discerner les petits jardins où les fils d'El Kessaï cultivaient leur pitance. Plus loin encore, l'entrelacs serré des dattiers luisait, les palmes pareilles à une forêt de dagues dissimulant le cratère de sable abritant l'eau précieuse. Muhammad ne doutait pas que l'emplacement qu'on leur avait accordé pour la nuit avait été choisi avec soin pour les en tenir éloignés.
Il noua la cape sur sa poitrine à l'aide d'une fibule de bois. Prenant soin de ne pas faire crisser le cuir de ses semelles sur le sable, il s'écarta des tentes. Si l'eau mystérieuse n'était pas visible du bas de la faille, elle devait l'être depuis le sentier le long de la falaise. Il était curieux d'en voir l'apparence sous les étoiles.
Il avait à peine fait quelques pas qu'un murmure l'immobilisa. Le sabre tenu en avant, il guetta les ombres. Il crut voir bouger la portière de la tente des femmes. Une illusion produite par les flammes mourantes. Sans doute le murmure qu'il avait cru entendre provenait-il du feu, lui aussi.
Mais le chuchotement se répéta dès qu'il se mit en marche. Cette fois, il lui sembla que la voix provenait d'une ombre plus dense, à quelques pas derrière les tentes. Il s'y dirigea.
— Muhammad ibn `Abdallâh...
Il reconnut la silhouette et le parfum.
— Lâhla !
Elle se précipita contre lui sans se soucier de l'arme qu'il tenait. D'un doigt, elle lui ferma les lèvres avant d'agripper sa manche et de l'éloigner des tentes. Elle ne s'immobilisa que lorsqu'ils furent près des jardins. Là, ce furent ses lèvres qui scellèrent la bouche de Muhammad.
— Viens, souffla-t-elle en se détachant de lui.
Il avait oublié le sentier de la falaise et son désir de voir les étoiles dans le disque d'eau mystérieux. Lâhla l'attira dans l'obscurité la plus profonde. Ils contournèrent les premiers carrés de jardin. Là, fruit de l'irrigation et de patients efforts, une terre dure et humide remplaçait le sable. L'air était plus frais, tout imprégné du parfum des herbes mêlé à celui du fumier de chèvre.
Lâhla paraissait connaître son chemin. Ils pénétrèrent dans un bosquet de palmiers, retrouvant le sable sous leurs semelles. Un sable épais, tiède encore de la chaleur du jour. Lâhla se retourna brusquement pour nouer ses bras autour du cou de Muhammad. Puis, accompagnant le baiser, ce fut tout son corps qu'elle colla au sien, la poitrine gonflée de désir. Elle n'écarta qu'à peine ses lèvres pour chuchoter, sur un ton très grave :
— L'homme en blanc, le sévère, a dit : « Pas de bruits de femme ! Pas de gémissements de femme ! Pas de rires de femme ! » Je vais devoir serrer les dents, Muhammad ibn `Abdallâh.
Ses mots produisirent l'effet contraire. Ils furent pris d'un fou rire qu'elle réduisit au silence par un baiser plein de soupirs. D'un coup, elle s'accrocha des deux mains à la cape de Muhammad, le déséquilibra de tout son poids. Ils basculèrent dans le sable. Elle roula sur lui. Commença à dégrafer la fibule retenant le
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