Khadija
face. Sa main se tendit. S'avança. Si vivement qu'un murmure d'effroi courut parmi les spectateurs. L'instant d'un éclair, on crut qu'elle allait toucher la Pierre.
Mais le sacrilège n'eût pas lieu. La chair de la saïda Khadija ne se posa pas sur la nuit d'Hobal. Paumes et doigts tremblèrent au-dessus, si proches qu'un moucheron n'eut pu voler dans l'espace ténu qui les en séparait. Mais sans contact.
Ainsi, les lèvres formulant toujours une prière inaudible, Khadija entama ses sept tours de dévotion. Chaque fois qu'elle revenait face au soleil déjà pourpre, elle s'immobilisait, inclinait tête, nuque et poitrine, la main toujours fermement tendue. Puis elle reprenait sa marche circulaire.
Enfin, après le septième tour et une dernière inclinaison, Khadija revint près de sa chamelle et remonta dans son palanquin.
Alors seulement, tandis que sa chamelle blanche se levait avec grâce, son regard courut sur ceux qui s'étaient massés là pour juger et critiquer.
S'y tenaient quelques-uns des vieillards de la mâla. Des visages chenus, des bouches édentées mais des prunelles acérées. Elle prit soin de saluer chacun d'un geste courtois bien que conservant les lèvres closes, signe de respect apprécié chez les femmes. Il y avait aussi des cousins, des hommes du clan des Hashim, de celui des Makhzum, des Abd Manâf et des Zohra, des gens du clan de Muhammad ibn `Abdallâh.
Mais pas un de la maison d'Abu Sofyan al Çakhr.
Ashemou de Loin
Ce soir-là, comme toujours lors des retours, on veilla tard dans la maison de Khadija bint Khowaylid. Barrira reprit en main l'ordre des choses. Elle vérifia rondement l'installation dans les chambres, désignant ce qui allait et n'allait pas. Après quoi, elle inspecta le rangement et le contenu des resserres. À la lueur d'une mèche à huile, elle compta les nouveaux tissages, contrôla le niveau des jarres d'huile et de grain. Tout serait à refaire en plein jour, et plus en détail, mais elle aimait montrer aux servantes que l'obscurité ne lui cachait rien.
Enfin, longuement, elle s'assura de la préparation du repas rituel du retour. Car le lendemain, lorsque le soleil atteindrait le zénith, la porte de la maison serait ouverte. Quiconque la franchirait pourrait prendre une écuelle et partager le repas commun à l'ombre du tamaris qui trônait dans la cour. Quand cet invité repasserait le seuil bleu donnant sur la ruelle, il devrait se considérer en alliance, en dette et en affaire avec la puissante Khadija bint Khowaylid. Ce qui ne serait pas sans devoir.
Abdonaï fit de même de son côté. D'abord, il s'assura que les bêtes de la caravane étaient convenablement traitées dans l'enclos appartenant à sa maîtresse, hors de l'enceinte de la ville. Il passa ensuite un long moment à régler la tâche des hommes de la maison pour les jours à venir, avant de s'assurer des conditions dans lesquelles leur dortoir avait été préparé. Tant que le jour le permettait, il vérifia l'état des terrasses, des citernes, des chars et des portes. Tout cela aurait pu attendre l'aube, et il n'était pas à douter qu'il réitérerait son inspection aux premières lueurs du jour. Lui aussi aimait montrer que rien n'échappait à sa vigilance.
L'arc fin de la lune nouvelle apparaissait déjà sur la crête dentelée du jabal al Nour quand fut enfin donné le signal du coucher. Les lampes de terre cuite furent mouchées. Seule la torche éclairant la natte du garde en faction près de la porte d'entrée, close par une lourde poutre, continua à diffuser sa pauvre lueur vacillante. Après la fournaise diurne, la nuit possédait cette paix où se devinait déjà le premier souffle de l'automne.
Quand la cour fut redevenue silencieuse, un grand voile de laine sur la tête, pieds nus afin de ne faire aucun bruit, Khadija quitta sa chambre. Prudemment, elle s'immobilisa devant l'alcôve où dormait Barrira. Au contraire de Ta'if, dans la très vaste maison de Mekka la vieille nounou possédait sa propre chambre, contre celle de sa maîtresse. En vérité, un couloir tout juste assez large pour sa natte et donnant sur la galerie. Une simple tenture servait de porte. Khadija connaissait d'expérience le sommeil léger, aux aguets, de Barrira. Cette nuit, cependant, le souffle rauque, lent et profond de son sommeil franchissait la tenture. La fatigue d'une journée interminable avait eu raison de sa vigilance.
Légère, habile dans l'obscurité, Khadija glissa dans
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