Khadija
un parfait silence devant le dortoir des servantes, s'avança jusqu'à l'angle ouest de la maison. Là, malgré les protestations de Barrira, Khadija avait ordonné que l'on vide une ancienne resserre pour en faire la chambre de la belle esclave Ashemou bint Shir al Dhat, Ashemou de Loin.
Ainsi que toutes les resserres, la pièce possédait une porte de bois. Khadija voulut la pousser. Elle était close, la traverse extérieure rabattue dans l'encoche du mur. Khadija la souleva aussi silencieusement que possible. Sous sa poussée, l'huis grinça à peine. Une touffeur moite, gorgée d'odeurs de jute, de paille, de relents d'olives broyées et de vieilles figues lui sauta au visage. À l'intérieur, elle devina l'agitation d'un corps. Un frottement de tissu, un souffle. Elle chuchota :
— C'est moi, ta maîtresse. Ne crains rien.
Khadija ouvrit la porte, laissant le mauvais air fuir dans la cour tandis qu'elle fouillait du regard les ténèbres de la resserre. Elle n'en devinait que la petite lucarne, à peine large comme une main. Quelques étoiles y brillaient dans le ciel plus clair que la nuit de la pièce.
— N'aie pas peur, fille Ashemou, répéta-t-elle dans un murmure à peine audible.
Puis :
— C'est irrespirable, là-dedans !
Elle tendit le bras, avança d'un pas. Ses doigts trouvèrent sans peine les plis moites et fripés de la tunique couvrant la taille et la poitrine d'Ashemou. Elle agrippa le tissu, attira l'esclave à elle, lui palpa le visage, passa ses paumes sur la nuque et les tempes trempées de sueur. Dans le noir, elle secoua la tête.
— Notre bonne Barrira t'a enfermée, n'est-ce pas ?
— Elle s'est rendu compte que j'avais quitté la maison.
— Ah...
— Dès mon retour, je suis venue ici pour t'attendre. Elle a demandé où j'étais allée, je n'ai rien répondu. Rien du tout, assura Ashemou sans élever la voix. Alors elle a fermé la porte. Elle a dit : « Comme ça, je saurai où te trouver. »
— Et tu n'as pas crié pour qu'on vienne t'ouvrir ?
— Pourquoi crier ? Les autres servantes pensent comme Barrira. Elles trouvent que tu me gâtes trop. Elles ne m'auraient pas délivrée. Je savais que tu voudrais me voir. Je t'ai promis le silence, saïda. Enfermée ici, j'étais sûre de tenir ma promesse.
Elles parlaient si bas que leurs têtes se touchaient. Khadija recula d'un pas. Du talon, elle butta contre la natte d'Ashemou. La pièce était tellement petite qu'on y tenait difficilement à deux. Khadija s'assit sur un coin de la natte. On respirait mieux. L'air frais de la nuit chassait la puanteur.
— Ôte cette tunique trempée de sueur, murmura-t-elle. Tu vas prendre mal.
— Je n'en ai pas d'autre. Mon coffre est resté dans le dortoir des servantes. Je n'ai pas eu le temps de le prendre avant que Barrira...
Khadija devina le geste d'Ashemou. Elle ne put retenir un sourire. Barrira connaissait tous les tours de la vengeance lorsque la jalousie s'emparait d'elle. La veille, quand Khadija lui avait annoncé que ce ne serait pas elle, la confidente de toujours, qui servirait de messagère vers Muhavija, la dispute avait été violente.
Elle ôta son voile de laine et le tendit à l'esclave.
— Enlève ta tunique, enroule-toi dans ce châle, ordonna-t-elle.
Son regard s'était habitué à l'obscurité. Reflétée par les murs blanchis de la cour, la lueur du ciel étoilé et de la lune pénétrait par la porte ouverte. Le geste d'Ashemou soulevant sa tunique et la retirant par-dessus sa tête fut gracieux comme un mouvement de danse. La splendeur de son jeune corps fut autant un ravissement qu'un coup de poignard inattendu. La sueur recouvrait sa peau fine d'une laque argentée. Les mains de Khadija auraient pu faire le tour de sa taille. L'orbe de ses tout jeunes seins était de ceux dont rêvent les hommes. Ses hanches se fondaient dans ses cuisses d'une seule courbe qui lui tombait de la nuque.
Les mâchoires de Khadija se serrèrent pour ne pas laisser passer le gémissement qui lui noya brutalement la gorge. Oh, cette beauté de femme ! Oh, combien aurait-elle donné pour la posséder encore et pouvoir l'offrir à celui qui désormais dévorait son cœur !
Où puiserait-elle le courage de se montrer, elle si vieille, nue devant lui, alors qu'il pouvait tendre la main et caresser les merveilles offertes par une Ashemou ?
Des larmes acides griffèrent les paupières de Khadija. Elle les ferma, dans la vaine tentative
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