Khadija
noir, Bilâl, demeuraient à sa tête, la conduisant vers les entrepôts. Les spectateurs se pressaient dangereusement autour d'eux. Ils avaient le plus grand mal à contenir les bêtes.
Pas une fois Muhammad ne tourna le visage vers Khadija. Elle remarqua que, sous sa cape maintenant rabattue sur son épaule pour plus d'aise, il ne portait plus la nimcha conquise devant Tabouk mais une simple dague.
Puis, bousculée par la foule, elle le perdit de vue. Abdonaï criait de rage. Les porteurs du dais parvenaient à grand mal à maintenir le dais au-dessus d'elle. Le tumulte ne s'apaisa qu'à l'approche des méharis d'Abu Nurbel et d'Al Sa'ib qui braillaient des menaces.
Enfin, arrivés devant Khadija, dans un même geste de politesse ils piquèrent le cou de leurs chameaux pour qu'ils ploient leurs antérieurs à hauteur de l'ânesse. Plus qu'elle ne l'entendit, tant le vacarme était grand, Khadija lut sur les lèvres d'Abu Nurbel le salut qu'il lui lança :
— Saïda bint Khowaylid ! Qu'Al'lat te garde sous sa paume ! Qu'Hobal bénisse ta richesse ! Le plaisir d'agenouiller nos montures devant toi est aussi grand que de retrouver les murs de Mekka ! Tu seras satisfaite de ceux en qui tu as placé ta confiance. Nous avons bien travaillé à nos affaires.
À son tour, elle lança les formules de bienvenue et les félicitations, invoqua sur eux les faveurs d'Al'lat et d'Hobal.
Elle se montra naturelle et enjouée comme on devait l'être en un jour où la richesse, après bien des efforts et des périls, venait s'accumuler dans les entrepôts. Et durant tous ces saluts, elle devina le regard anxieux d'Abu Talib. L'oncle rusé cherchait à sonder son humeur véritable.
Des cris de reconnaissance détournèrent leur attention. Les chamelles reléguées à la fin de la caravane et portant les modestes palanquins des servantes approchaient. Les enfants se précipitèrent vers elles. Du haut de leurs montures, et selon la tradition, les servantes lançaient des dattes et des figues sèches, des poignées d'olives et même des « gâteaux de route » aussi durs que les pierres du désert où ils avaient été cuits. Puis, aux femmes qui tendaient les mains vers elles, elles donnaient des sacs de légumes secs et toutes les nourritures qui n'avaient pas été consommées durant les derniers jours du voyage.
Khadija fixa les visages des femmes qui riaient et s'agitaient sur les rebords des palanquins. Il y en avait des jeunes, des vieilles, des laides, des belles. Les femmes jeunes et belles étaient plus nombreuses qu'elle ne l'aurait cru. Et l'une d'elle était certainement cette Lâhla bint Salîh dont Muhammad avait dix fois, cent fois, baisé les lèvres.
— Saïda...
L'appel d'Abdonaï, bas mais insistant, brisa sa fascination. Devant elle, les méharis d'Al Sa'ib et d'Abu Nurbel s'étaient redressés. Il était temps pour eux de rejoindre l'esplanade de la Ka'bâ, d'y faire la longue prière du retour et d'y montrer leur soumission reconnaissante à la toute-puissance de la Pierre Noire.
Le Perse fit pivoter l'ânesse. Les quatre serviteurs tournèrent à petits pas, soutenant le dais au-dessus de leur maîtresse. La foule se scinda entre ceux qui voulaient assister au déchargement de la caravane et ceux qui voulaient voir la prière des puissants autour de la Ka'bâ. Pour trancher le flot des corps excités et impatients, Abdonaï dirigea l'ânesse à la suite des chameaux des Abd Manâf.
Soudain, immobilisant son méhari, le vieil Abu Nurbel lança un cri de colère. Abu Talib lui fit signe de s'apaiser. Abdonaï désigna le haut de l'esplanade de son moignon de cuir.
Tout à l'opposé de la place, à l'écart de ceux qui déjà tournaient en longeant les cercles des idoles et psalmodiaient devant la Pierre Noire, des hommes aux manteaux colorés se congratulaient bruyamment.
Khadija reconnut Abu Sofyan, splendide et arrogant, entouré des siens. Celui qu'ils fêtaient avec tant d'ostentation n'était autre que Yâkût al Makhr, le mercenaire.
Le temps d'un éclair, la fureur qui avait envahi Abu Nurbel la gagna. Elle croisa le regard suppliant d'Abu Talib.
Une main se posa sur la sienne.
— Khadija !
La cousine Muhavija était là, à son côté, souriante et sérieuse. Elle murmura :
— Laisse-les régler ça, ce sont des histoires d'orgueil masculin. Ils ne savent pas que la gloire ressemble au marché : quand on y reste trop longtemps, les prix baissent.
À voix plus haute elle
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