Kommandos de femmes
jusqu’au block réservé aux nouvelles arrivées. Pas de lit, simplement de la paille déjà souillée. En fait de soupe, un quart de café. Lili est revenue à elle. Nous la déposons sur la paille et je l’embrasse, lui promettant de revenir.
Le soldat qui nous gardait, profitant de ce qu’il était près de la voiture, la renverse et jette par terre les deux femmes.
Nous retournons bientôt à la gare pour nettoyer les wagons et ramener sur une grande charrette à plateforme celles qui sont restées dans la neige. Beaucoup sont mortes de froid.
Le soir, nous rentrons au block épuisées, couvertes de poux, mais sans possibilité de nous désinfecter.
Par la suite, le block où ont été installées les malheureuses deviendra le block des typhiques et des punies. Il y meurt au moins trois ou quatre prisonnières par jour, dont les cadavres nus sont mis en tas dehors. Bientôt la mortalité augmente et les S.S. organisent le kommando du cimetière qui doit enterrer les mortes.
Les survivantes de ce transport sont emmenées en camion, l’avant-veille de notre évacuation. On les fait sortir du block avec trois enfants qui venaient d’arriver. Celles qui ne peuvent marcher sont traînées par terre sur des couvertures et jetées comme des sacs dans le camion. Dans la soirée le camion revient vide et nous entendons de nombreux coups de feu dans les bois près du camp. C’était le 20 avril. Le surlendemain nous partions à pied pour Dachau.
Départ cxxiii à mille (par rangs de cinq), couverture sur le dos, sous la tempête de neige, vingt-cinq kilomètres par jour, avec cent grammes de pain chacune. Une première nuit est passée dans les granges, où nous sommes surveillées tant bien que mal. Le lendemain, brusquement, arrêt sur la route encombrée par la Wehrmacht en déroute ! Nous, les Françaises, nous avons voulu vivre l’aventure jusqu’au bout ; aucune, à ce moment-là, ne s’est échappée et pourtant, c’eût été facile ! Après un arrêt de cinq heures dans la forêt, ce fut l’ordre : demi-tour, retour au camp. Les Américains étaient à vingt kilomètres, les Russes à cinquante, nous étions encerclés. Nous sommes donc revenues au camp, avec nos soixante-cinq gardiens ; les barbelés avaient déjà disparu (il fallait effacer toute trace !) et ce furent huit jours de comédie cynique avec appel et travail jusqu’au 7 mai à midi. À midi dix, les Américains, deux hommes dans une jeep, désarmaient nos soixante-cinq gardiens, qui d’ailleurs avaient, avec leur courage magnifique, hissé le drapeau blanc.
XX
MAUTHAUSEN
Nous étions cxxiv seize Nantaises arrêtées la même nuit du 20 janvier 1944. Dix seulement sont rentrées. Nantes, Romainville, Ravensbrück, toutes NN, nous ne nous sommes pas quittées.
Vingt-sept ans plus tard, pour mes camarades lyonnaises, parisiennes ou autres, nous sommes restées les « Nantaises » ou les « Lafayette » (prison de Nantes). C’est dire la solidité des liens qui nous unissaient aux yeux de toutes…
Le 1 er mars 1945, nous quittons Ravensbrück. Où allons-nous ? Vers quoi ? On essaie de croire que c’est un pas vers le retour. En tous cas, ça ne pourra pas être pire ailleurs. La suite nous prouvera que nous n’avons pas encore touché le fond. En franchissant le portail, maman dit :
— On n’est toujours pas sorti par la cheminée.
Il gèle dur. On nous tasse, quatre-vingts sans doute, dans un wagon à bestiaux. Chacune a mis sur elle tous les pauvres haillons qu’elle a pu rassembler. Les visages sont camouflés, on n’en voit que les yeux. On s’installe comme on peut sur le sol nu ; l’espace vital de chacune est bien étroit. Mais voici que monte dans le wagon notre convoyeur allemand. C’est un soldat (pas un S.S.), casqué, fusil et sac au dos : en hurlant, il nous repousse dans les deux extrémités du wagon ! L’espace compris entre les portes coulissantes lui est réservé ! Cette fois, nous sommes écrasées les unes contre les autres ! Dans l’espace libre, l’Allemand pose un seau à confitures, cuivré : les w.c. pour quatre-vingts femmes, presque toutes diarrhéiques ! (Grâce à Dieu, nous ignorons que le voyage va durer six jours !…). Avant le départ, le seau est déjà plein ; aux premières secousses il se renverse à travers le wagon. L’Allemand entre en fureur et hurle ! Nous sommes des cochons bien sûr, – on commence à le savoir. Pour la route, on nous a
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