Kommandos de femmes
transport s’organise mais de nombreuses malheureuses restent couchées dans la neige, incapables de faire un effort ; nous sommes trop peu pour les prendre.
Les S.S., qui riaient lorsque nous avons vidé les wagons, se sont calmés et nous regardent avec indifférence. Je reste la dernière avec une de mes amies ; nous décidons d’essayer d’en sauver le plus possible. Le commandant du convoi et trois soldats nous surveillent toutes les deux. C… ne peut s’empêcher de pleurer, bouleversée par ces horreurs ; elle n’a que vingt ans ! Nous portons les plus faibles sur une distance de cent mètres, marchant très lentement et les encourageant. Mais elles ne comprennent pas le français – ce sont presque toutes des Hongroises ou des Tchèques. Nous les posons dans la neige et retournons en arrière en prendre une autre.
Les habitants sont tous à leurs fenêtres, certains même descendent sur la route pour interroger les S.S. qui ne répondent pas.
Nos gardiens se lassent bientôt de notre manège et nous ordonnent de déposer les malheureuses par petits groupes assez éloignés les uns des autres. Ils vont les achever, mais devant les curieux, ils se ravisent ; on viendra chercher celles qui restent ce soir – inutile de les garder elles ne pourraient pas se sauver. L’une d’elles appelle faiblement sa sœur, restée sans connaissance près de la gare.
C… et moi, nous reprenons notre route, soutenant une jeune Tchèque de vingt-cinq ans, Lili. Nous marchons très lentement ; les bras passés autour de nos cous, elle avance péniblement. Sa tête retombe sur sa poitrine ; elle gémit sans cesse : « Je ne peux plus… Je ne peux plus. » Trois fois elle s’effondre nous entraînant avec elle. Nous nous reposons quelques secondes, puis repartons. Nous rencontrons sur la route deux femmes qui n’ont pu suivre le convoi jusqu’au camp. Les S.S. les secouent avec le pied pour voir si elles vivent encore. Ainsi fait-on quand on trouve une bête crevée. Elles réagissent ; ils leur posent le canon d’un revolver sur la tempe, menaçant de tirer si elles ne se lèvent pas tout de suite. Mais elles veulent vivre – Lili nous l’a dit plusieurs fois déjà pendant son calvaire. Maintenant nous traînons trois mourantes ; les deux autres se sont redressées et, avec une lueur d’affolement dans les yeux, nous ont suppliées de ne pas les abandonner ; elles s’accrochent à nous. Nous leur promettons une soupe très chaude et un lit. Nous faisons quelques pas et nous nous écroulons ensemble dans la neige. Le commandant, excédé, part en avant avec deux soldats ; nous n’avons plus qu’un gardien. Je me mets à pleurer malgré moi et lui demande s’il n’a pas d’enfants, ni de mère. Étonné, il me regarde sans répondre puis il me demande : « De quel pays êtes-vous ? » — « Je suis Française. » — « Française, ah !…» puis m’explique qu’il lui faut agir ainsi.
Il nous reste encore un kilomètre à faire. Lili épuisée refuse de continuer et supplie le soldat de la tuer. Je lui frotte le visage avec de la neige et lui parle comme à un petit enfant. À ce moment, elle me dit : « J’aime beaucoup la France. » Arrivées aux premières maisons du faubourg où se trouve le camp, nous croisons une femme traînant une petite charrette. J’explique au soldat que ce serait plus facile de ramener ces malheureuses si on nous prêtait cette charrette, mais la femme refuse et s’éloigne rapidement. Nous avançons dans la rue et tombons encore une fois. Des réfugiés qui viennent d’arriver à Zwodau s’approchent de nous et nous proposent une voiture. Le soldat accepte ; je remercie l’homme qui s’éloigne en haussant les épaules. Une femme passe près de nous, serre les poings et nous sourit. C. et moi chargeons nos trois malades sur la charrette et la route s’achève sans encombre. Je tire la charrette et C. retient les malheureuses. Pour entrer dans le camp nous devions monter un grand escalier, d’une trentaine de marches.
Tous les S.S. du camp sont devant leur block et regardent passer le sinistre défilé.
Nous laissons la charrette au pied de l’escalier et prenons nos malheureuses camarades une par une.
Lili à ce moment a encore un sursaut de pudeur. Sa culotte de ski se détache et tombe. Elle ne veut pas que les S.S. la voient ainsi, mais en haut de l’escalier, elle s’écroule sans connaissance… Nous la portons
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