Kommandos de femmes
donné un morceau de saucisson, un morceau de margarine, un pain. Au hasard des voies coupées, des alertes, etc. on roule, on stoppe – une journée entière en gare de Halle. Partout la neige qui bloque les portes des wagons. Nous sommes frigorifiées. Pourtant, à une halte, l’Allemand parvient à ouvrir. Il descend, remplit son casque de neige qu’il nous apporte, il renouvelle son geste, nous nous jetons sur cette neige que nous laissons fondre dans la bouche… Depuis combien de jours n’avions-nous rien bu ? Pour ce geste d’humanité, qu’il lui soit beaucoup pardonné…
Sixième jour : arrêt, cris, ordres. Les portes s'ouvrent, on nous fait descendre. Ce doit être le milieu de la nuit. Le lumignon de la gare nous permet de lire Mauthausen ; cela ne nous dit rien. « Zu fünf. » On se range sur une route. On sent des maisons très proches. Les plus mal en point d’entre nous sont hissées dans des camions : on ne les reverra plus. La colonne s’ébranle. Les plus valides soutiennent les autres ; on monte lentement dans la neige qui craque sous nos pas. Haut dans le ciel, à l’horizon, une grande lueur : des flammes. Pendant six kilomètres, nous sommes guidées, attirées par cette flamme – et nous marchons toujours. Tout à coup, un claquement sec dans la nuit, plus tard, un autre ; d’autres. On se serre un peu plus, on soutient mieux les malades. D’instinct, on comprend que celles qui tombent ne se relèvent pas : un revolver S.S. les achève.
Quand le jour se lève, nous sommes depuis longtemps parquées dans un camp, entre un haut mur et un long bâtiment. Recrues de fatigue, de sommeil, de faim, de soif, de froid… À l’heure où le camp s’éveille, on nous apporte le breuvage noir bien connu. Tel qu’il est, il nous réconforte. Enfin on entre aux douches, on nous dépouille à nouveau de tout, de nos pauvres haillons. On nous donne un minuscule « savon flottant » et une serviette exiguë. Nous ne savons pas encore que les douches envoient indifféremment de l’eau ou des gaz mortels et que, dans les deux cas, on vous donne le savon et la serviette. Pour aujourd’hui, ce sera l’eau. Examen minutieux anti-gale et anti-poux, et on nous revêt de sous-vêtements masculins. Mauthausen, jusqu’à ce jour, n’a abrité que des hommes. Dans l’air sec et glacé de la montagne en hiver, nous traversons le camp en flanelles à manches longues et caleçons longs, tandis que les colonnes, qui commencent à circuler sur l’Appel-Platz, nous regardent atterrées… Une voix française crie :
— Madame Delavigne ?
Un Nantais l’a reconnue malgré le déguisement…
Block 16. Avec ses frères 17 et 18, ce block est enfermé dans un mur (pour parer à d’éventuelles mutineries). La stube est vide de tout mobilier. On s’effondre par terre, on attend. Vers midi sans doute, des bouteillons arrivent : une soupe blanche, chaude, abondante, qui nous paraît bonne : on sent qu’ici ça va aller mieux ! Hélas ! cette soupe sera la seule du genre – et le pire reste à voir.
Sélection pour Bergen-Belsen (vers le 15 mars) : par groupes, on nous aligne dans une salle. Des officiers, probablement l’état-major du camp, font un tri. Les dames âgées et malades d’un côté, nous de l’autre. Maman et ses amies d’un côté ; nous de l’autre. C’est impossible, nous ne pouvons pas être séparées ! Jacqueline affronte le plus « galonné ». Rien à faire, les matricules sont relevés, etc. Tandis qu’un nouveau groupe nous remplace, on nous remet, pêle-mêle, dans la cour. Au moment de l’appel, quand le tri est terminé, notre décision est prise : par tous les moyens, nous allons cacher maman et deux de ses amies qui redoutent ce « camp-hôpital-où-on-va-bien-les-soigner »… Pendant toute cette journée (et les deux qui vont suivre) d’angoisse indicible, nous les cachons dans la foule ; les déplaçant quand le danger approche, faisant le mur autour d’elles. Malgré les appels, contre-appels, hurlements et menaces, personne ne les vendra, personne ne les trouvera. À la nuit, l’Allemand capitule. La porte du 18 se ferme sur les sélectionnées « qui doivent partir sur-le-champ ». Elles resteront cependant trois jours enfermées dans ce block (plusieurs mourront avant le départ). La terreur de voir à nouveau maman et ses amies traquées ne nous quittera qu’après le départ de ce transport de
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