La 25ème Heure
service et lui donnèrent l’ordre avec lequel il devait se présenter à son unité.
– Tu es affecté au service auxiliaire, dit le capitaine.
Puisque tu ne peux pas faire un travail de bureau, tu seras affecté à une compagnie de garde.
83
Le commandant du camp disciplinaire siffla pour donner le signal du déjeuner. Le soldat Iohann Moritz tressaillit en entendant le signal. Il avait totalement Oublié qu’il se trouvait dans la guérite de garde et s’était mis à chercher fébrilement sa gamelle. Il devint tout rouge de dépit.
" Idiot que je suis ! " se dit-il en serrant le fusil entre les mains. " J’ai de nouveau oublié que j’étais sentinelle et non prisonnier. "
Depuis trois jours qu’il se trouvait dans ce poste, il avait le même réflexe à chaque signal d’appel. Il ne pouvait il se mettre en tête qu’il était soldat. En voyant les barbelés qui entouraient le camp et la file de prisonniers, il oubliait totalement où il se trouvait et il se croyait enfermé. Tant d’années passées dans les camps avaient fini par lui faire entrer dans le sang et dans la peau l’idée qu’il était prisonnier pour la vie. Il ne pouvait s’imaginer nuire chose. Lorsque quelqu’un venait le relever, Moritz le mettait à trembler, croyant que le soldat venait en fait pour l’arrêter. En ce moment même, en regardant les prisonniers faire la queue devant les marmites de soupe, Moritz oublia qu’il se trouvait dans la guérite et se demanda pourquoi à son tour à la soupe tardait tellement.
Il se voyait dans la file des prisonniers.
Moritz avait cherché du regard, dès le premier jour, des gens connus parmi les prisonniers. Il n’en avait pas trouvé et s’en était étonné. En Allemagne, il avait passé par des dizaines de camps et il avait dû avoir comme camarade au moins un des prisonniers de ce Straflager. Il aurait aimé y retrouver quelque connaissance. Il n’avait pas la permission de parler aux prisonniers. Mais il aurait voulu apercevoir, même de loin, un visage ami.
Iohann Moritz oublia de nouveau qu’il était soldat et sentinelle, et se mit à crier :
– Joseph, Joseph !
Les prisonniers groupés dans la cour le regardèrent Joseph le regarda, lui aussi, et se remit à manger. Le Français ne l’avait pas reconnu.
Moritz l’appela encore une fois. Joseph demeura gamelle à la main, et le fixa du regard. Ensuite il s’éloigna davantage.
– Tu ne me reconnais pas ? cria Moritz. Je suis Moritz Ianos.
– Salve Sclave ! dit le Français en riant. Maintenant il l’avait reconnu. Il mit la gamelle par terre et s’approcha de la barrière de barbelé.
– Comment es-tu arrivé là-bas, Jean ? demanda Joseph.
Iohann Moritz lui raconta en quelques mots la manière] dont il était devenu soldat. Joseph comprenait mieux l’allemand maintenant. Mais une assez grande distance les séparait et ils s’entendaient à peine.
– Et toi comment es-tu arrivé ici ?
– Ils m’ont pris, cinq jours après mon évasion, répondit Joseph. Veux-tu envoyer une lettre à Béatrice ? Nous n’avons pas la permission d’écrire et je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis quatre mois déjà.
Iohann Moritz demanda l’adresse. Le Français l’écrivit sur un morceau de papier. Pendant que Joseph écrivait, le soldat Iohann Moritz tira de sa poche le paquet de cigarettes qu’il avait reçu la veille de la compagnie et le jeta par-dessus les barbelés, dans la cour du camp, aux pieds du Français.
– Demain je t’apporterai encore des cigarettes et du pain, dit Moritz. J’enverrai la lettre ce soir même.
Joseph se pencha, prit le paquet de cigarettes et jeta le papier contenant l’adresse de Béatrice, en mettant une petite pierre dedans. Mais le papier tomba au milieu des barbelés. Joseph voulait se remettre à écrire l’adresse. – Laisse, je la prendrai moi-même, dit Moritz. Moi, ils ne me fusilleront pas si je m’approche de la barrière.
Au moment où Iohann Moritz descendait les marches de l’escalier de la tour de garde, il vit au loin venir vers lui le caporal qui devait le relever, Moritz remonta précipitamment les marches et cria à Joseph : – Le caporal arrive et je ne peux plus prendre l’adresse. Demain à neuf heures je serai à mon poste et je prendrai le papier. Attends-moi. Et maintenant, au revoir ! – Salve Sclave ! répondit Joseph.
Il s’éloigna en allumant une cigarette. Il portait le même
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