la Bible au Féminin 03 Lilah

Ezra, certaine qu’il allait répliquer. Mais le regard d’Ezra était posé sur elle. Peut-être n’avait-il pas même entendu la provocation de maître Baruch. Un regard qu’elle connaissait assez pour qu’Ezra puisse se passer de mots. Elle y lisait la crainte, les questions et l’attente. Des yeux qui chuchotaient : « Vas-tu me parler d’Antinoès ? Es-tu venue, ma sœur bien-aimée, pour me dire ce que je ne veux pas entendre ? »
    Maître Baruch se laissa glisser sur sa couche avec un bruyant soupir. Lilah sourit et déclara doucement :
    — Pourquoi se moquer de leur admiration, maître Baruch ? Peut-être n’est-elle qu’une vérité ?
    — Que veux-tu dire ? demanda Ezra en fronçant les sourcils.
    — Qu’il est temps que tu deviennes ce que chacun attend de toi.
    Ezra sourit, dédaigneux.
    — Ah ! On attend quelque chose de moi ? Yhwh attend de moi. Et je Lui réponds en demeurant ici, en accomplissant mon étude, en lisant Sa Parole comme on respire.
    — Crois-tu que ce soit toujours la bonne réponse ?
    — Lilah ! As-tu l’ambition de m’enseigner la sagesse ?
    Maître Baruch s’était redressé à demi. Ses mains s’agitèrent au-dessus de sa barbe de neige.
    — Laisse-la parler, mon garçon, laisse-la parler !
    — Zacharie te dit : « Nous avons besoin de toi. Explique-nous, conduis-nous. » Pourquoi refuser ?
    — Et où devrais-je les conduire ? ricana Ezra.
    — À Jérusalem.
    Ezra fut debout d’un bond.
    — Tu es folle !
    — Crois-tu ? Que signifient aujourd’hui sagesse et courage s’il ne s’agit pas de poursuivre l’ouvrage commencé par Néhémie ? Maître Baruch le dit lui-même : à quoi bon gémir si cela n’engendre aucune volonté ?
    Ezra jeta un regard à maître Baruch. Le vieux maître ne riait plus. Ses prunelles brillaient, aux aguets, son souffle était court et silencieux. Sogdiam et Axatria apparurent sur le seuil, portant des plateaux. Ezra ne leur accorda pas la moindre attention.
    — Je l’ai répété à Zacharie : si Néhémie a échoué, c’est que Yhwh juge qu’il n’est pas encore temps de relever Jérusalem.
    — Voilà une excuse facile pour celui qui n’aurait pas le courage d’affronter son destin.
    Ezra rougit jusqu’à la racine des cheveux. Lilah s’avança et lui saisit les mains. Elle devina le frisson qui parcourait son frère. Elle dit doucement :
    — Moïse, Aaron et tout le peuple d’Israël n’ont-ils pas découvert que la main de Dieu était sur eux en affrontant les sortilèges de Pharaon ? N’est-ce pas ce que tu m’as toi-même enseigné, Ezra ?
    Maître Baruch s’agita sur son siège et gloussa :
    — C’est bien, ma fille, c’est bien !
    — Moïse a aussi demandé souvent à Yhwh : « Pourquoi moi ? » répliqua Ezra avec dureté.
    — Et l’Éternel a répondu : « Parce que j’en ai décidé ainsi ! » assena maître Baruch.
    Ezra secoua la tête et retira ses mains de celles de Lilah. La rougeur demeurait sur ses joues, mais le noir de ses yeux brillait d’une autre émotion que la colère.
    — Allons donc ! fit-il après un instant de réflexion. Vous oubliez que Néhémie a pu quitter Suse et conduire ceux de l’exil à Yehoud parce le Roi des rois avait décidé que cela était bon pour lui.
    — Yhwh avait fourré une bonne politique dans la cervelle de Cyrus le Grand, approuva maître Baruch.
    — Oui, mon maître. Et aujourd’hui, je n’entends rien de tel venir de la Citadelle.
    — Et si cela venait ? intervint Lilah. Si Artaxerxès te convoquait et te disait : « Va, Ezra, reconduis ton peuple à Jérusalem ! Remonte les murs de ton Temple ! »
    — Lilah, tu es folle.
    — Réponds-moi, Ezra : s’il te le demandait, accepterais-tu ?
    Ezra se figea et la considéra un moment. Les paupières de maître Baruch n’étaient plus que deux fentes où luisaient à peine les pupilles. Sa barbe trembla. Ezra se mit à rire. Un rire aigu et nerveux.
    — Allons, Lilah ! Tu sais que ce n’est pas possible. Regarde-moi. Regarde cette pièce et ce qui nous entoure ! Pourquoi le Roi des rois poserait-il son regard sur moi ?
    — Parce que Yhwh le voudra.
    Le visage d’Ezra s’assombrit. Il leva la main.
    — Lilah, ne parle pas ainsi. Ce n’est pas…
    — Laisse-la s’exprimer, mon garçon, l’interrompit maître Baruch sans sourire.
     
    *
    * *
     
    — J’y pense depuis des jours, Ezra. Et, aujourd’hui, je sais