la Bible au Féminin 03 Lilah
que j’ai raison. Je le sais, comme ce Zacharie dont vous vous moquez, comme tous ceux qui évoquent Ezra en l’appelant le « sage de la ville basse ». Crois-tu qu’ils t’admirent parce que tu passes ton temps le nez plongé dans les rouleaux de papyrus ? Parce que tu es devenu savant autant ou plus que maître Baruch ?
Elle jeta un regard vers le vieux maître. Il l’encouragea d’un signe de tête.
— Non, ce qu’ils admirent, Ezra, c’est l’obstination qu’il t’a fallu pour venir et demeurer ici. Et cette obstination, nous en avons besoin pour espérer, pour cesser d’être un peuple éparpillé telles les miettes d’une galette dans la poussière des royaumes d’Artaxerxès le Nouveau.
Axatria et Sogdiam, sur le seuil, écoutaient. Ezra eut un mouvement pour les chasser, mais finalement retint son geste. Avec un sourire il fit glisser ses doigts sur la joue de Lilah.
— J’aime tes paroles, ma sœur, elles me prouvent ta tendresse. Mais tu dis une chose fausse. Ils n’attendent rien de tel, ceux de l’exil. Si cela était, ils auraient traversé le désert avec Néhémie, et Yhwh aurait étendu Sa main sur eux. Non, ils sont trop bien ici, tout comme notre oncle Mardochée, je te l’assure.
— Parce que personne ne se dresse pour leur montrer où se trouve leur devoir, s’obstina Lilah. Parce que personne ne fait le premier pas vers le désert. Parce que personne ne va devant le Roi des rois et ne lui dit : « Laisse-moi entrer dans Jérusalem et redresser le Temple du Dieu du ciel. »
Ezra rit. Il attrapa Lilah par les épaules et la serra contre lui. Le bonheur lui illuminait le front. Axatria, Sogdiam et maître Baruch ne l’avaient vu aussi joyeux depuis longtemps.
— Lilah ! Nous ne sommes plus des enfants ! Nous n’avons plus l’âge de jouer avec des rêves. Mais je comprends combien tu m’aimes en prononçant ces mots…
— Non, Ezra !
Lilah repoussa son frère d’un geste aussi ferme que sa voix.
— Ne me traite pas comme une enfant. Et rien de mon amour pour toi ne m’aveugle. Je sais qui tu es. C’est à toi désormais de savoir ce que valent tes mots et ton courage.
La joie d’Ezra avait déjà fui. L’ombre du désarroi passa sur ses traits.
— Je ne désire pas être celui que tu décris, soufflât-il. Je suis dans l’étude avec maître Baruch. L’étude ne s’interrompt pas, même pour remonter les murs de Jérusalem !
— Ah ! voilà qu’il dit ce que j’ai dit à Néhémie ! s’exclama le vieux maître d’une voix perçante. Ah oui, voilà bien la sottise que j’attendais de toi, mon garçon !
— N’est-ce pas ce que tu m’as enseigné ?
— Oh oui, je l’ai dit, je l’ai dit !
Le rire secoua le petit corps fragile de maître Baruch. Il cligna de l’œil vers Lilah.
— J’ajoute : l’étude n’a pas de fin, mais le maître de l’étude, lui, en a une.
Il y eut un étrange silence.
Lilah se tourna vers le seuil et se dirigea vers la cour.
— Lilah, tu ne peux pas proférer la volonté de Yhwh ! cria Ezra dans son dos. Ce serait un blasphème.
Lilah se retourna, souriante. Elle approuva d’un mouvement de tête.
— Ce n’est pas mon intention. Mais si Artaxerxès t’ordonne de te présenter devant lui, tu devras bien te rappeler comment Moïse a poussé Aaron devant Pharaon.
*
* *
Tandis que le char les ramenait, pensives et silencieuses, vers Suse-la-Ville, Axatria finit par dire :
— Une fois de plus, tu étais en présence d’Ezra et tu ne lui as pas parlé de ton mariage. Ton oncle et ta tante vont s’en ronger les sangs.
— Ezra sait sur mon mariage tout ce qu’il a à savoir, répliqua Lilah.
— Mais il ne le veut toujours pas.
— Ça n’a plus d’importance.
Axatria sursauta, ouvrit de grands yeux.
— Tu ne veux plus te marier ?
— Ai-je dit cela ? J’en ai fait la promesse : je me marierai, Axatria. Après.
— Après ?
Lilah ne répondit pas.
Axatria demeura silencieuse toute la longueur d’une rue, le regard fixé sur la tête dodelinant du jeune esclave qui conduisait leur attelage. Puis, enfin, elle s’exclama :
— Tu crois vraiment ce que tu as dit à Ezra ? Que le Roi des rois le convoquera au palais ?
— Oui.
— Mais Ezra a raison. C’est impossible. Comment le Roi des rois pourrait-il savoir qui est Ezra et qu’il…
Elle s’interrompit, dévisagea Lilah intensément.
— Ah ! souffla-t-elle. Parysatis
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