la Bible au Féminin 03 Lilah
mourir et moi, parce qu’ils n’étaient plus, je vivais enfin ma vie de femme. Des enfants dans ma maison ! Oh, tu ne peux pas imaginer ! Mardochée aussi en a été transformé. Je suis devenue une vraie mère. À mes yeux, au moins. Même si tu m’appelles toujours ma tante, moi, j’ai longtemps voulu entendre « maman » ! Puis tu as grandi, et un autre rêve m’a comblée. Tu devenais femme, tu devenais belle. Tu devenais l’amante d’un bel homme. Ton ventre allait se gonfler comme le mien ne le ferait jamais. Je me réveillais la nuit en croyant entendre les cris et les pleurs de tes fils et de tes filles. Oui, c’était ma folie. Avoir des petits-enfants qui courent et braillent dans cette maison. Oublier les tapis, le tissage, les clients ! Pendant des années j’ai fait ce rêve : les enfants de Lilah viendraient bientôt se jeter dans mes bras. Si je n’avais pas été mère, je serais au moins grand-mère.
Elle se tut, parcourue de frissons. La gorge nouée, Lilah demeurait immobile. Sarah respira plus fort. Un sourire ironique étira ses lèvres.
— Parfois, j’ai songé aux enfants que pourrait avoir Ezra, mais ça n’a pas duré, je dois le reconnaître.
Lilah sourit à son tour. Enfin, des larmes franchirent les paupières de Sarah. Ses traits se brouillèrent. Elle ajouta très vite, dans un souffle, comme si elle craignait de ne pas parvenir à prononcer tous les mots :
— Maintenant, il faut que je m’habitue. Je ne verrai pas d’enfants courir dans cette maison, je ne serai pas réveillée par leurs cris. Je serai jusqu’à la fin de mes jours Sarah au ventre sec. Tu comprends ?
— Ma tante, murmura Lilah.
Sarah secoua la tête, obstinée et courageuse.
— Non, ne proteste pas. Je sais. Même si tu ne dis rien. Cette reine épouvantable, cette folle sans vergogne n’autorisera jamais tes épousailles avec Antinoès. Et toi, je te connais. Tu ne céderas pas non plus. Tu n’épouseras personne d’autre que lui. Tu ne seras l’amante d’aucun autre et tu seras comme moi : un ventre sec.
Sarah avait plongé ses yeux dans ceux de sa nièce. Peut-être y avait-il dans sa voix un mince filet d’espoir, le désir d’être contredite. Lilah ne trouva rien à répondre et baissa les paupières.
Sarah opina doucement, cherchant maintenant un réconfort dans des pensées qui avaient dû souvent rouler dans sa tête.
— Sans doute as-tu raison, chuchota-t-elle. Plus tard, peut-être changeras-tu d’avis. On ne sait jamais ce que l’Éternel veut de nous. Tu es si jeune ! Il n’y a pas longtemps, tu n’étais encore qu’une enfant.
Une porte claqua dans la cour, puis le silence revint. Elles se détachèrent l’une de l’autre, comme si leurs corps pesaient soudain trop lourd et s’étaient refermés sur leur tristesse.
— Peut-être pourrais-tu…
Sarah hésita. Ce qu’elle avait à dire était difficile, et elle n’osait plus regarder Lilah.
— Je sais que tu prends des herbes, souffla-t-elle enfin. Quand tu vois Antinoès. Tu pourrais être enceinte, alors il faudrait bien…
— Pour quel destin ? l’interrompit Lilah sans élever la voix. Avoir un enfant pour lui offrir une vie de honte ? Jamais Antinoès ne pourrait en faire son fils ou sa fille sans que la colère de Parysatis ne retombe sur l’enfant. Elle n’aurait de cesse de le détruire.
Sarah demeura sans répondre, le front plissé. Elles se turent.
Les bruits de la maison étaient plus nombreux. La voix de Mardochée résonna. Des appels de servantes lui répondirent. Bientôt, on entendrait les premiers claquements des métiers à tisser.
— C’est si cruel, gronda Sarah. S’il en est une qui ne le mérite pas, c’est bien toi.
— Personne ne mérite de subir la folie de Parysatis.
Sarah se tourna brusquement et agrippa les mains de Lilah.
— Ce que je voudrais savoir, c’est si tu vas le suivre ?
Son regard était intense, sa bouche durcie, comme si elle s’apprêtait à recevoir un coup.
— Si tu pars toi aussi à Jérusalem, Mardochée et moi, on se retrouvera seuls. Jamais il ne voudra quitter Suse.
Lilah secoua la tête.
— Oh, tante Sarah ! Je ne sais pas ! Je ne sais pas !
*
* *
Quelques matins plus tard, Axatria revint de la ville basse, le rouge aux joues.
Seule, comme les fois précédentes, elle était allée porter le linge et la nourriture à Ezra et maître Baruch. Elle avait trouvé Sogdiam en grande excitation,
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