La bonne guerre
parlaient pas des nazis mais des Russes. Ils
détestaient leur courage. Ils les considéraient comme des bêtes. Peut-être que
c’était vrai. Arriver de Stalingrad à Berlin, ça avait sûrement pu en faire des
bêtes. C’étaient les meilleurs tueurs du monde. Je n’ai jamais pu trouver un
parachutiste qui, ayant vu comment ils se servaient de leur pistolet-mitrailleur,
voulût se battre contre eux. Je crois que la meilleure leçon qu’on aurait pu
donner aux Américains ç’aurait été de les stationner à Berlin aux côtés des
Russes.
Je suis sûr qu’ils étaient très contents de se rencontrer
quand ils se sont rejoints sur l’Elbe. Je suis sûr qu’ils se sont embrassés, que
les Russes ont acheté des montres avec des Mickey et que les Américains se sont
soûlés à la vodka. Mais ça n’a pas duré. Il a fallu faire d’importants échanges
de territoires en Bavière et en Tchécoslovaquie, et les Russes refusaient
partout de faire des concessions. Je suis sûr qu’il s’est passé la même chose
quand ils sont arrivés à Berlin. J’ai entendu des discours antisoviétiques
presque immédiatement après la jonction avec les Russes. Je pense que ç’a été
notre position dès le départ.
Quand j’ai pris ce train, j’ai entendu dire qu’il y avait
des gars qui jouaient de grosses sommes d’argent aux dés. Nous avons installé
notre camp pour attendre l’arrivée des bateaux. On nous a fait savoir qu’on ne
pouvait emporter qu’une certaine somme d’argent. Les officiers pouvaient
emporter 1 500 dollars chacun et les GI 500. Et ces deux types avaient
gagné 68 000 dollars. Et vous allez voir comment le cerveau turbine quand
on est dans la panade.
J’étais allongé avec trois, quatre fusils français, des gros
44, et un Luger, et un autre truc. J’essayais de me creuser la cervelle pour
trouver un moyen de me faire un peu de fric pour quand j’arriverais aux
Etats-Unis. Soudain j’ai eu un éclair de génie. J’ai demandé à un GI où je
pouvais trouver les types qui avaient gagné le paquet. Je suis allé dans leur
tente. Je leur ai dit : « Écoutez, vous allez avoir des problèmes
pour sortir votre argent. Je vous laisse soixante cents par dollar, et je me
charge de vous faire passer votre fric. » Ça avait l’air de les démanger. Ils
m’ont donné 30 000 dollars. Je ne leur ai pas fait de reçu. Je suis allé
trouver tous les officiers fauchés et leur ai dit : « Si vous faites
passer 1 500 dollars pour moi, je vous laisse vingt pour cent. » Je
gardais vingt pour cent pour moi. Eux, ils avaient donc 300 dollars, moi 300 dollars
et je rendais aux types 900 dollars sur leurs 1 500 dollars.
Quand j’ai traversé le terrain de manœuvres pour retourner
les voir, ils étaient un peu furieux. Apparemment la Croix-Rouge était prête à
faire la même chose pour vingt pour cent au lieu de quarante. Ils avaient
largué le reste de l’argent. C’est comme ça que je me suis fait les 5 000
dollars avec lesquels j’ai débarqué en Amérique. Le nouvel immigrant. (Il
rit.)
J’ai dû en récolter environ 400 de plus pour les fusils. Je
ne voulais plus voir un fusil. C’est avec ça que j’ai vécu quand je suis arrivé
en Amérique. Je me suis inscrit au club 52-20. Tout était fini, et je crois qu’il
n’y avait plus qu’à s’y remettre et tout recommencer à zéro.
C’est terrible à dire, mais ça été la période la plus
excitante que j’aie jamais vécue. La plus romantique. Si vous avez assez de
chance pour ne pas vous faire tuer ni vous faire blesser, que vous en réchappez,
ça fait un peu comme un séjour à l’hôpital. Vous oubliez complètement la
douleur mais vous vous souvenez du cul de l’infirmière qui se penchait sur vous.
J’ai oublié à quel point c’était ennuyeux d’être fantassin et de passer des
heures à faire des boulots sans aucun intérêt. Mais je me souviens parfaitement
de toutes les occasions qui m’ont été offertes d’agir pour les autres.
Pendant un temps on s’est sentis bien. Le pays avait le
sentiment d’avoir fait quelque chose de positif. Les gars étaient revenus avec
la sensation d’avoir accompli quelque chose. Ensuite ils se sont trouvés pris
dans une société très compétitive et il leur a fallu immédiatement se replonger
dans le train-train quotidien.
À mon retour j’avais le sentiment que rien ne pouvait me
résister. Seul le ciel m’arrêtait. Il n’y avait qu’une chose qui
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