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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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appelé. C’était comme s’il avait disparu. C’est ce que j’ai fait pour les
dix-huit personnes de l’orchestre : j’ai sorti leur fiche 20. Ils sont
restés en vie, et moi j’avais un orchestre. Pratiquement, j’avais le droit de
vie et de mort. Je pensais sincèrement que je faisais quelque chose de bien. Je
passais au-dessus des commandants et mon poivrot de colonel me soutenait. Je
pouvais faire tout ce que je voulais.
    J’ai fait vivre quelque chose à ces hommes. Quand un homme
rejoint un dépôt de relève, il n’appartient pas à une unité. Quand il arrive et
que vous pouvez lire sur son visage, parfois vous savez qu’il va s’en tirer, et
parfois vous savez qu’il va y rester. Parce que cet homme est désemparé. On l’expédie
comme chair à canon vers une unité qui a perdu une douzaine d’hommes. Et il se
retrouve en pleine bagarre. On reconnaissait ceux qui avaient le trouillomètre
à zéro et ne s’en sortiraient pas. Tout ce qu’on pouvait faire pour eux c’était
les aider à décompresser un peu, c’était toujours autant de jours de gagnés, et
ça c’était formidable.
    Tout était en mouvement. Nous avancions. Nous avons entendu
dire que Paris était tombé. Fontainebleau n’était pas bien loin de Paris. J’ai
dit à mon second : « Dis donc, si on se prenait un petit camion de
cinq cents kilos pour se faire une petite virée à Paris ? » Tout le
long de la route les femmes, les hommes, les paysans français, les gens des
villes se précipitaient vers le camion pour nous jeter des fleurs.
    Nous passions juste après la 2 e DB de Leclerc. Les
armées américaines avaient évité Paris. Un très grand geste d’Eisenhower. Il
avait décidé de laisser les Français libérer Paris. Je me trouvais à Paris le
jour de la libération de la ville. Mais j’ai raté le coche.
    Parfois quelqu’un parle d’un moment historique en disant :
« J’y étais. » Eh bien, pas moi ! Ils marchaient vers l’Arc de Triomphe,
et je n’en savais rien. Tout ce que je savais c’est que je voulais acheter du
parfum et des foulards. Je suis allé aux Galeries Lafayette, un grand magasin. Il
n’y avait personne dans la rue. Nous sommes entrés dans le magasin en rangers, le
45 au côté et le casque sur la tête. Génial. Toutes ces Françaises ont surgi de
derrière leurs comptoirs. Elles nous suivaient : «  Ohhh ! Marvelous
Américains. » Nous avons acheté nos foulards, et tout d’un coup quelqu’un
vient nous baragouiner en anglais que ça se bagarre sur la place de la Concorde.
Il y avait des irréductibles postés sur les toits qui tiraient sur le défilé. Ils
ont dû les déloger. Mais je n’y étais pas. Je n’ai pas vu le défilé. Je n’étais
pas sur la place de la Concorde pour ce merveilleux moment historique. J’étais dans
cette connerie de Galeries Lafayette à acheter du parfum et des foulards. Et
merde !
    Un peu plus tard, nous redescendions avec notre camion dans
les rues, tout en cherchant un restaurant. Les gens nous ont dit : « Pas
question d’entrer. » Les Forces françaises libres, les résistants, n’étaient
emparés de tous les restaurants. Alors on s’est assis en plein Montparnasse. Les
fenêtres se sont ouvertes et les femmes nous ont fait apporter du pain et du
vin par leurs maris. Et nous nous sommes assis pour manger et pour boire à l’arrière
de la camionnette. Un couple s’est approché de nous pour nous dire :
« On va vous emmener dans un restaurant clandestin. » Ç’a été une de
ces nuits pas croyables, absolument extraordinaires comme dans Hemingway. On
est allés dans un bar. Je me souviens très bien de son nom : Chez Mama. À
une heure du matin j’étais assis à ce foutu piano en train de chanter :
« Hourrah pour le drapeau de la liberté. » Tout droit sorti d’une
connerie de roman. Vers les trois heures du matin quelqu’un m’a pris par la
main pour m’emmener de l’autre côté de la rue dans un hôtel qui s’appelait l’École,
quel nom ! On m’a fait monter l’escalier, fichu au pieu, et j’ai passé une
nuit formidable. Le matin, on s’est traînés jusqu’à Fontainebleau.
    Pour l’hiver, on s’est installé une planque dans une petite
ville qui s’appelait Neufchâteau. Je m’occupais de l’Hôtel Moderne et du mess
des officiers. Nous avions un commandant de Kansas City qui prétendait qu’il
buvait et jouait au poker avec Truman. C’était un antisémite invétéré.

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