La bonne guerre
cours d’une visite des vétérans de
Stalingrad. Nos hôtes nous ont simplement dit : « Vous nous avez
nourris quand vous-mêmes n’aviez rien à manger. Vous nous avez sauvé la vie. »
Ils n’exagéraient pas. Notre peuple était affamé mais il a nourri ces
prisonniers. Et ils ont pu regagner leurs foyers sains et saufs. Jusqu’à présent
personne n’a rien écrit là-dessus. Si vous rencontrez d’anciens prisonniers de
guerre en Allemagne ils vous confirmeront ceci : le peuple russe ne garde
jamais bien longtemps de rancœur.
Galina Alexeyeva
C’est l’épouse de Mikhail Alexeyev.
Ce qui frappe dès l’abord c’est la couleur de ses cheveux.
Ils sont d’un orange vif, de toute évidence teints. Contrairement à son mari, elle
est maigre et elle a les pommettes saillantes. Lui a des mouvements lents et
lourds, tandis qu’elle déborde de vie et d’activité. Elle approche de la
soixantaine.
C’est encore le jeune Michael Kuzmenko qui nous sert d’interprète.
Quand la guerre a commencé, j’étais à Stalingrad. J’habitais
avec ma sœur, parce que je n’avais plus de mère. J’étais au collège, enquatrième. Ma sœur m’a dit de retourner chez mon père
parce que j’y serais plus en sécurité. J’y suis donc allée pour terminer ma
scolarité.
Nous travaillions également à la construction d’abris
antichars et de tranchées, afin de faire obstacle aux Allemands. Tous les
enfants y participaient. On faisait ça le long du fleuve, la Volga. Après, nous
rentrions à la maison.
Quand nous avons repris les cours, nous avons trouvé plein
de soldats blessés dans nos classes. Nous avons commencé à les soigner et à
nous occuper d’eux. Nous essayions de les aider de notre mieux. Nous ne
pensions qu’à les garder en vie. Nous, si jeunes, nous les portions jusqu’aux
endroits où on les opérait. C’était très loin de là. Nous étions des jeunes
filles aux jambes et aux mains fluettes. Les soldats étaient très forts et très
lourds, et ils avaient des fractures.
Il n’y avait pas d’espace pour passer entre les lits parce
qu’ils étaient trop rapprochés les uns des autres. Nous devions donc soulever
les soldats au-dessus de nos têtes pour les emmener. Je vous assure, ils
étaient vraiment très lourds. Nous ne pensions qu’à une chose : ne pas
lâcher prise. Ils étaient déjà si gravement blessés que si jamais on les avait
laissés tomber, ils en seraient morts.
Quand le soir venait, je savais que certains d’entre eux
avaient des blessures si graves qu’ils ne passeraient pas la nuit. Je me disais
que je pourrais peut-être les aider en tuant ces sales microbes. Je prenais
donc de l’eau glacée, et quand ils dormaient je me glissais sous leurs lits
pour laver par terre. Pour qu’ils soient dans une atmosphère plus fraîche, sans
microbes.
Cela se passait à Nikolskoje, un village des environs de
Stalingrad où habitait mon père.
Des gens venaient prendre le nom des volontaires qui s’inscrivaient
pour la défense de Stalingrad. Et comme j’avais entendu dire qu’ils
entraînaient des volontaires, je me suis présentée. Je leur ai dit :
« Mon frère s’est déjà fait tuer près de Kiev. Je veux aller combattre sur
le front. » Je travaillais dans un hôpital quand j’ai reçu ma convocation
pour me présenter au lieu de rassemblement. Comment est-ce que vous appelez ça ?
Une feuille de route ? Vous savez, j’étais infirmière, sans même avoir
passé d’examen. Ils m’avaient simplement dit : « Vous êtes infirmière. »
Et quand je me suis engagée comme volontaire, j’avais environ seize ans.
Quand j’ai reçu ma feuille de route, mon père a mis quelques
provisions dans un sac. Mon père était un homme très bon. Il savait que là où j’allais
m’arrêter en chemin il y avait trois orphelines. Il m’a dit de partager ma
nourriture avec elles. Mon père a commencé à pleurer et à me dire :
« Non, je ne veux pas que tu partes. » Je lui ai répondu :
« Comment peux-tu dire une chose pareille, toi qui as combattu pendant la
guerre civile. » C’est ce souvenir que j’ai gardé de lui, là, debout, en
train de pleurer.
Elle me montre un vieux livret militaire. On y trouve une
photo d’elle en uniforme, presque jaunie ; une jeune fille aux longs
cheveux noirs.
Ils m’ont d’abord affectée à la collecte des messages et à
la distribution des cigarettes. Je voulais quelque chose de plus actif.
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