La bonne guerre
Alors, après
une petite formation, j’ai travaillé aux communications.
J’étais à la bataille de Koursk, quand nous avons franchi le
Dniepr. À Odessa également. La 27 e brigade de chars avait besoin de
quelqu’un aux communications. Elle était stationnée à Kiev, et les seules
filles qu’ils avaient ne parlaient qu’ukrainien. Les communications demandaient
une très grande précision. Je suis donc devenue officier dans les
communications. Il s’agissait d’un bataillon de blindés très spécial, qui
pilonnait les positions fortifiées allemandes.
Il y avait quelques femmes comme moi, mais ils ne voulaient
pas nous laisser monter dans les tanks. Une fois une fille avait été envoyée
dans un tank, il avait pris feu, et ses cheveux avaient entièrement brûlé. À la
suite de cela, il n’y a plus eu de femmes dans les tanks.
(Une étrange pensée m’a traversé l’esprit : serait-ce
elle, la fille dont elle parle ? Et les cheveux rouge orangé seraient-ils
une perruque ?)
J’ai demandé à rejoindre les combattants. Il y avait des combats
très durs dans Stalingrad. Ils m’ont d’abord dit non. Je n’ai été recrutée que
vers la fin de la bataille. Nos chars étaient terriblement endommagés. Même les
hommes étendus sur le sol, les blessés, écrivaient « Stalingrad »
dans la poussière.
Les enfants se cachaient dans les sous sols des maisons. Quand
ils sortaient à la fin des affrontements, ils ne ressemblaient plus à des
enfants. Ils avaient des visages de petits vieillards, de nains, oui, c’est ça.
Il n’y avait plus d’innocence dans leurs yeux. C’étaient des yeux de vieillards.
Une fille avait les jambes gelées. Elle avait douze-ans à l’époque. Ils ont
voulu la soigner. Ils ont mis ses jambes dans l’eau chaude et… et alors, la
partie inférieure de ses jambes, avec ses pieds, s’est détachée.
On pourrait parler de tout cela pendant très très longtemps,
pendant une éternité. Je voyais tellement de blessés graves qui pleuraient en
me voyant, « Je vous en supplie, infirmière, faites quelque chose pour moi. »
Une fois j’ai vu un soldat, un artilleur, qui avait la poitrine béante. On
voyait son cœur battre. Quand je l’ai regardé j’ai compris qu’il n’était pas
possible de le redresser, sinon son cœur serait tombé. Il fallait l’opérer
sur-le-champ. Son propre sang allait l’asphyxier, l’empêcher de respirer. Parfois
pendant les bombardements, quand on voyait un homme rester assis sans bouger, on
pensait qu’il n’avait pas peur. Alors on se précipitait vers lui et on voyait
quelque chose tomber : c’était sa tête.
J’ai vu des prisonniers de guerre à Stalingrad, et ensuite
sur la route. Ils me faisaient pitié. De qui étaient-ils les fils ? Qu’est-ce
qui clochait dans leur existence ? Pourquoi étaient-ils venus là ? Qu’est-ce
qui leur manquait sur cette planète ? Tout le monde a des champs, tout le
monde a des rivières. Moi qui ai été soldat, qui ai vu des milliers de morts, je
ne veux plus jamais de guerre. La paix et la guerre ce ne sont pas des
histoires de westerns. On ne joue pas avec ces choses-là.
Viktor Andreyevich
Kondratenko
Il était correspondant de guerre dans l’Armée rouge. Cinq
anciens combattants sont réunis et après une ou deux vodkas, le flot des
paroles est plus fluide. Il raconte la reddition allemande à Stalingrad.
Le 2 février 1943 au matin ils ont commencé à se rendre. Il
neigeait un peu, la journée était sombre. Soudain, après deux cents jours de
canonnades et de tirs ininterrompus, il n’y avait plus un bruit. Tous les gens
se demandaient : « Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui arrive ? »
Les rues étaient tellement calmes que personne n’y comprenait rien. Quelqu’un a
dit : « Les Allemands se rendent. » Ils déposaient leurs armes
sur le sol. Des monceaux d’armes.
Ensuite j’ai vu ce serpent, ce gigantesque serpent d’hommes
blessés et prisonniers. J’ai vu onduler cette longue ligne. Le serpent était
vert et sale. On aurait également dit une succession infinie de grenouilles. Leurs
vêtements en lambeaux ressemblaient à des tenues de camouflage, vertes, blanches,
noires. Cette ligne avançait vers l’horizon. On n’en voyait ni le début ni la
fin. Il faisait de plus en plus sombre. Il y avait partout de la neige sale.
Nos camions suivaient cette colonne pour ramasser les
prisonniers allemands blessés et ceux qui tombaient
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