La bonne guerre
de fatigue.
Vers la fin de la colonne, j’ai vu un lieutenant allemand s’écrouler
de fatigue sur le sol. Ses camarades continuaient à avancer péniblement et il a
crié comme un loup : « Paul ! Paul ! Peter ! Peter ! »
Ses amis ont simplement relevé les cols de leurs manteaux en haillons, ils ont
rentré le cou dans les épaules, et ils ont continué, sans jamais se retourner. Je
me souviens de ce soldat, il portait encore sur lui quelques médailles. Un des
camions s’est approché. Un soldat en est descendu, l’a aidé à se relever, et l’a
hissé à l’intérieur.
J’ai rencontré d’anciens prisonniers de guerre un jour où je
visitais la cathédrale de Weimar. Le guide était un vieux monsieur qui parlait
très bien russe. Je lui ai demandé « Comment se fait-il que vous
connaissiez le russe ? » Il m’a répondu :
« Stalingrad. »
Grigori Baklanov
Nous sommes à l’hôtel Sovietskaya de Moscou, assis dans
une très vaste salle à manger, le Yar, autrefois célèbre pour son élégance et l’extravagance
de ses clients. Les brillants officiers de l’armée du tsar, les princes et les
marchands donnaient de très gros pourboires aux musiciens tziganes ambulants.
« Les soirées commençaient à Slagansky Bazaar »,
nous dit Frieda Lurie, notre interprète. Je l’appelle Figaro, notre factotum.
« La soirée se poursuivait dans cette pièce, le Yar, jusqu’au petit matin. »
Cette histoire, bien que réelle, paraît montée de toutes pièces quand on voit
apparatchiks et étrangers vaquer à leurs occupations.
Grigor Baklanov est un héros de la seconde guerre
mondiale dont les romans ne traitent que de ce seul sujet : La guerre.
Dans ma famille, nous sommes huit à être allés au front. Trois
sont revenus. Nous pouvions nous estimer heureux dans la famille.
Quand mes enfants me demandent : « Parle-nous de
la guerre », je ne peux rien leur dire. Je n’aime pas raconter mes
souvenirs. Beaucoup de ceux qui ont vécu longtemps après la guerre commencent à
se souvenir. Quel miracle, quelle merveille, comme nous avons été courageux, quelle
solidarité entre nous. Ce n’est pas une occupation que je considère comme étant
digne d’un être humain.
Dans ma génération, sur cent qui sont partis au front trois
sont revenus. Trois pour cent. On ne devrait pas demander à ceux qui ont
survécu ce que la guerre signifie pour eux.
Ma vie, c’est un peu comme un cadeau. Je suis étonné de l’avoir.
Un ami m’a demandé un jour : « Quelle est ton attitude envers la mort ? »
Je n’y pense absolument pas. Le fait que je sois en vie m’excite et me surprend
bien davantage. Quand je regarde mes enfants et mes petits-enfants, je me mets
à penser : « Leur présence ici sur cette terre n’a vraiment tenu qu’à
un fil. Qu’à la trajectoire d’une balle. » Ils ne comprennent pas qu’ils
sont sur cette planète presque par accident. D’après les statistiques il serait
tout à fait logique que je ne sois pas vivant. Mais j’ai survécu, et ils sont
arrivés. C’est une chose qu’ils ne peuvent pas comprendre.
Je crois que le monde se divise en deux. D’une part il y a
le monde des vivants, d’autre part il y a le monde de l’ombre. Qui n’existe que
dans l’esprit. Dans une de mes nouvelles, je me souviens de cette phrase :
« La balle qui nous a tués aujourd’hui étend sa néfaste besogne sur des
siècles et des générations, car elle détruit la vie à venir. »
J’ai été le seul de ma classe, de tous ceux qui sont allés
au front à échapper à la mort. Que dire de plus ?
Nouvelles Menaces
Telford Taylor
Il était l’avocat général américain de douze des treize
procès de Nuremberg. Il avait succédé à Robert Jackson, qui était retourné
auprès de la Cour suprême des États-Unis à la fin du premier procès. Il avait
été colonel dans l’armée. Quand il a été choisi pour aller à Nuremberg :
« Ils m’ont promu général. Mais je ne suis pas militaire de carrière. Je n’ai
jamais utilisé ce titre depuis que j’ai été démobilisé. » Parmi ses
ouvrages on peut citer Sword and Swastika et Nuremberg and Viêt-Nam. Son cabinet se trouve à New York et il enseigne le droit à l’université de
Columbia et à la faculté Benjamin Cardozo.
« Pour la plupart des gens de ma génération, la
guerre et ses répercussions ont été les expériences les plus intenses de notre
vie. La guerre a été
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