La bonne guerre
c’était d’avancer
le plus vite possible avec nos camions et nos tanks jusqu’à ce qu’on rencontre
une résistance. On prenait certaines villes sans échanger un coup de feu, et
dans d’autres il fallait se battre sérieusement. Il fallait toujours prévoir le
pire.
Le plus souvent on attendait derrière nos lignes, et puis on
se mettait en route. Quand on dépassait nos lignes d’artillerie, on savait qu’on
n’était plus très loin et que peu à peu on allait se retrouver en pointe. Une
heure avant on était encore au milieu d’un tas de GI. Et au fur et à mesure qu’on
approchait de la zone de combat, il n’y avait plus que notre section puis plus
que notre groupe devant les deux autres. Et moi qui ouvrais la marche.
Ça n’était pas croyable, avec toutes ces troupes, toute
cette intendance, tous ces blindés et tous ces renforts, de se retrouver tout
seul. (Il rit.) Tout seul, devant, au beau milieu de tout ça.
On était sur les collines autour de Lüdenscheid. À part le
va-et-vient des ambulances allemandes qu’on repérait grâce aux croix rouges sur
leur toit, un silence de mort pesait sur la ville. Impossible de savoir si c’était
une ruse ou pas. Il y avait quelque chose d’étrange dans l’air. Le glas s’est
mis à sonner dans la ville. On se demandait ce que ça voulait dire. Est-ce qu’ils
sonnaient le début d’une offensive décisive ? Est-ce qu’ils abandonnaient
la place ? En fait, on a pris la ville sans rencontrer trop de résistance.
C’est alors que j’ai commencé à me douter qu’il devait y
avoir de sales trucs ailleurs. On savait très bien que les Allemands avaient réquisitionné
des hommes en Pologne, en France et dans les autres pays occupés, pour les
faire travailler dans des fermes et dans des usines. Et à chaque fois qu’on
prenait une ville, on libérait des Slaves, des Polonais, des Français et plein
d’autres. C’était souvent très émouvant. Mais on n’avait pas encore du tout
entendu parler des camps de la mort. Ça m’étonne encore quand j’y repense. Quand
on a pris Lüdenscheid, notre section a passé la nuit dans une espèce de
taverne-théâtre-salle des fêtes, avec une scène et une grande piste de danse. Et
au milieu de cette piste de danse, il y avait un monceau de vêtements. Et je
réalise maintenant que ça devait être les vêtements qu’ils avaient pris aux
gens qu’ils envoyaient à Dachau ou dans un autre camp. On ne s’est pas vraiment
posé de questions sur le moment, on savait bien que ce n’était pas l’armée du
Salut. Je m’en souviens parce que c’était le jour de la mort de Roosevelt.
Chaque ville avait son lot de travailleurs pratiquement
réduits en esclavage. Ça allait de quelques dizaines à quelques centaines, selon
qu’il y avait ou non des industries dans la ville. La dernière qu’on ait prise
dans la Ruhr, c’était Letmathe. Il y avait un fort contingent d’Italiens qui
travaillaient dans une usine, et des Russes aussi. L’armée n’administrait pas
encore ces territoires. Je me souviens que les Russes faisaient courir les
chevaux dans la rue pour activer leur circulation avant de les tuer pour les
manger. J’ai vu un Russe s’apprêter à tuer un cheval à la hache, et comme je n’ai
pas eu le courage de l’abattre moi-même, je lui ai passé mon pistolet pour qu’il
le fasse. On savait qu’ils crevaient de faim et qu’ils auraient fait n’importe
quoi.
Et puis il y avait les prisonniers, et tous ces travailleurs
étrangers qui en profitaient pour se soulever contre les Allemands. C’était une
vraie pagaille.
Je me souviens d’un Russe qui s’apprêtait à étrangler un
Allemand dans la cave du bâtiment où on logeait. Ç’a été un moment de vérité
pour moi parce que je pensais encore que tous les Allemands incarnaient le mal
et que les Russes étaient nos alliés. Je ne sais pas comment ça m’est venu, mais
j’étais persuadé que ce Russe était en train de se venger de tout ce qu’il
avait subi. Il disait que l’Allemand avait tué son copain, mais il y avait une
telle confusion qu’il était difficile de savoir si c’était vrai ou pas. Quand
je l’ai empêché de tuer cet Allemand, il a éclaté en sanglots. En y réfléchissant
après coup, je crois que son histoire était vraie, mais je ne pouvais pas le
laisser faire.
On savait que les Russes avaient subi d’énormes pertes sur
le front de l’Est, et qu’ils avaient véritablement brisé
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