La bonne guerre
l’armée allemande. Sans
eux, on aurait drôlement souffert, et nos pertes auraient été autrement plus
élevées. On était vraiment bien disposés à leur égard, et je me revois en train
de dire que si c’était nous qui faisions la jonction avec eux je n’hésiterais
pas à les embrasser.
Jamais je n’ai entendu quelqu’un dire du mal d’eux. Je crois
qu’on savait très bien qu’en cas de conflit avec eux on ne s’en sortirait pas
vainqueurs. À l’époque, on n’avait encore jamais entendu parler de la bombe
atomique. On s’imaginait de gigantesques affrontements armés entraînant le
sacrifice de millions d’hommes. On avait tout à fait conscience que nos chefs
épargnaient nos vies. Même s’il fallait bien qu’il y ait des gars dans l’infanterie
pour faire le sale boulot, nos chefs essayaient d’abord de pilonner l’ennemi à
l’artillerie lourde et d’envoyer les tanks pour les affaiblir avant de lancer
les fantassins. Quand c’était possible, évidemment.
J’ai essayé de comprendre pourquoi les gens de ma génération,
avec ce qu’ils ont vécu, n’adhèrent pas volontiers aux mouvements
antinucléaires. Ça vient de plusieurs choses. D’abord les Allemands étaient
prêts à perdre des millions d’hommes et c’est ce qui s’est produit. Dans toutes
les maisons où nous sommes passés on voyait des photos de fils ou de parents, bordées
de crêpe noir. Il n’était pas difficile de savoir qu’ils étaient morts sur le
front de l’Est. Et les Russes, eux, y ont laissé vingt millions d’hommes.
Après, on est rentrés aux États-Unis, et on nous a entraînés
pour l’invasion du Japon. Quand ils ont lâché la première bombe atomique, on
était au beau milieu du Pacifique. Il y en a combien comme nous qui y seraient
restés s’il n’y avait pas eu de bombe ? C’est ce que ressentent les gens
comme moi.
Pendant notre dernière campagne en Bavière, on était dans l’armée
de Patton. Patton voulait qu’on continue à avancer. Moi, ça me paraissait
complètement fou. On se serait fait massacrer par les Russes parce qu’ils
étaient prêts à sacrifier tous les hommes qu’il fallait. Et je ne crois pas que
beaucoup de GI auraient eu le cran d’affronter les Russes. Par la presse et les
actualités, on savait bien comment ça s’était passé à Stalingrad. D’ailleurs, j’en
ai eu la preuve avec toutes ces photos bordées de crêpe noir dans les maisons
allemandes. Le crêpe noir, le front de l’Est, neuf sur dix qui y étaient restés.
Maintenant, je suis encore plus anticommuniste qu’avant. Je
crois que notre gouvernement a tout fait pour défendre l’image d’Oncle Joe. Les
convois pour Mourmansk. On était très partagés : « C’est chouette qu’ils
se soient payé le gros du boulot, qu’ils aient eu, et de loin, le plus de morts,
qu’ils aient brisé l’armée allemande, mais pris individuellement, ils ne
doivent pas être si mal que ça. De toute façon, on n’a pas envie de se battre
contre eux. » (Il rit.)
J’ai été contre la guerre du Viêt-Nam après avoir vu un numéro
de Life en 1968. Sur la couverture, il y avait les photos des cent types
qui étaient morts là-bas dans la semaine. Je me suis dit : « Il faut
arrêter les frais. » Je ne veux pas jouer les anciens combattants de la seconde
guerre mondiale et dire qu’on a fait un boulot admirable. On n’est pas mieux
que les autres si on n’est pas capable de réfléchir tout seul et de se faire sa
propre opinion. Tant qu’on gagnait à l’aise, ce n’était pas difficile de continuer
au Viêt-Nam, mais quand la situation s’est aggravée, on a commencé à se poser
des questions.
Pendant la seconde guerre mondiale c’était complètement
différent. Ça a vraiment transformé ma personnalité. Je crois que je ne juge
plus les gens aussi rapidement. Je sais en tout cas que je ne me laisse plus
porter à juger les gens sur les apparences. J’ai vécu pendant une courte
période les expériences les plus fantastiques de ma vie, la peur, la joie, la
douleur, l’espoir, la camaraderie, la tension continuelle, tout ce côté
théâtral des choses. Honnêtement, je suis ravi d’avoir été témoin d’un
événement de l’histoire aussi important que ça et d’avoir pu y apporter ma
modeste contribution.
Richard M. (Red) Prendergast
Je marchais dans la rue et j’ai vu ce grand gaillard qui me
rappelait vaguement quelqu’un. Je lui ai tapé sur l’épaule
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