La bonne guerre
avril, et l’Italie s’était
rendue en mai. Tout ça nous le savions dès le début, mais là, ça prenait
vraiment concrètement forme. Mon guide ne voulait pas rester avec les gars en
question parce qu’il savait ce qu’ils préparaient. On s’était connus en Espagne,
et il voulait directement m’emmener à Luigi Longo. C’était un de ces militants
rouges de choc qui avaient fait parti du bataillon Garibaldi pendant la guerre
d’Espagne. Alors on est partis de notre côté.
Le commandant de cette unité d’industriels n’y voyait d’ailleurs
aucun inconvénient. De toute façon il ne connaissait rien à la guerre. Tout ce
que ces types avaient sur eux c’était leur argent, leurs montres, de l’or et
des papiers.
Il avait beaucoup neigé et le gars avec qui j’étais m’a dit
en espagnol que ce n’était pas possible de continuer parce que les Allemands
avaient des avions de surveillance, et qu’ils repéreraient nos traces. Il a
donc suggéré qu’on revienne sur nos pas, qu’on s’installe en attendant, au lieu
de continuer. Les autres, eux, ont continué sous la direction de leurs guides, et
se sont tous fait capturer. La mission au complet. Autant vous dire que les
nazis se sont passablement enrichis avec le butin. (Il rit.) Ils ne se
sont pas fait tuer car à cette époque Allen Dulles était en Suisse, et il a
pris contact avec le commandant nazi qui s’appelait Wolf d’ailleurs. (Il rit.)
Et sur qui je tombe en débarquant en France ? Une bande
d’Espagnols qui avaient lutté dans le maquis. Ils avaient des camions et des
fusils et se préparaient à franchir les Pyrénées pour renverser Franco. Je leur
ai dit : « Ça alors, formidable les gars, on va vous aider. » Au
fond de moi-même je pensais à ce que m’avait dit Donovan, le retour en Espagne
et le renversement de Franco.
J’ai télégraphié au quartier général à Florence :
« J’ai un bataillon d’Espagnols avec moi, voici la liste de ce dont j’ai
besoin : véhicules, fusils-mitrailleurs, mortiers. On s’apprête à
traverser les Pyrénées pour aller en Espagne. » En retour, arrive l’ordre
suivant : « Empêcher le lieutenant Wolff de passer à l’ouest du Rhône.
On envoie un avion à Grenoble pour le ramener ici. » L’ordre ne venait pas
de Donovan car il n’était pas là. Je suis retourné en Italie où on m’a démis de
mes fonctions. À Naples, l’USS West Point, un transport de troupes plein de GI,
m’attendait depuis deux jours, moi, cet emmerdeur de sous-lieutenant.
Évidemment, sur le bateau, tous ces gars ne savaient pas
pourquoi on les faisait attendre, et dès que je suis arrivé, ils ont levé l’ancre.
À bord il y avait déjà d’autres vétérans de la guerre d’Espagne. Ils ne
voulaient pas que nous restions en Italie. Qui y avait-il en Italie à l’époque ?
D’un côté les collabos et de l’autre les résistants. Si l’armée américaine n’était
pas intervenue et si l’OSS ne s’en était pas mêlé en distribuant de fortes sommes
d’argent, l’Italie serait devenue un État socialiste.
À notre retour nous voulions repartir en Chine, nous avons
donc mis sur pied une mission. On nous a dit « d’accord », seulement
personne n’a jamais vraiment eu l’intention de nous envoyer là-bas. La guerre
froide avait commencé. J’étais revenu à Fort Benning. Ils m’ont expliqué que j’avais
fait assez de boulettes comme ça, et que je pouvais donc quitter l’armée. J’ai
obtenu mon brevet de bonne conduite, et Donovan m’a même écrit très gentiment
pour me dire que j’étais vraiment quelqu’un de bien.
À part le GI Bill of Rights, ce programme d’aide aux
démobilisés qui leur a permis de faire des études, la seconde guerre mondiale
ne m’a pas rendu la vie plus facile. Comme tous ceux qui avaient combattu pendant
la guerre d’Espagne, j’étais toujours étiqueté PAF : premature
antifascist. Nous étions sans cesse harcelés par le FBI, par le comité Dies
et par le comité McCarthy. J’ai passé un an de ma vie à défendre le bataillon
Lincoln devant la commission de contrôle des activités subversives.
Merde alors, je ne veux plus entendre parler de guerre. Les
types comme moi sont auréolés d’un certain prestige parce qu’ils ont été des
guerriers. Mais franchement j’ai toujours eu plus de respect pour les
objecteurs de conscience. Ce n’est pas parce qu’on a été des guerriers qu’on
devrait nous honorer,
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